Le conflit casamançais a 30 ans: Les péripéties du plus vieux conflit en Afrique au sud du Sahara (Diasporas.fr)
Ce 26 décembre, cela fait trente ans depuis qu’a éclaté le conflit casamançais qui déchire la région sud du Sénégal. En fait c’est le 26 décembre 1982 que des hommes et des femmes avaient marché à travers les rues de Ziguinchor, la principale ville de cette région pour réclamer son indépendance.
Pour rappel, le 26 décembre, au matin, des hommes et des femmes, toutes appartenances ethniques confondues, estimée à environ 500 personnes, avaient pris départ à Mangokouroto, une place publique située dans la partie ouest de la ville. Mais la foule va grossir au fur et à mesure que les marcheurs avancent et la marche se déroulait dans une ambiance bon enfant, les marcheurs scandant ce slogan »l’indépendance de la Casamance » et versant de l’eau partout sur la chaussée, ce qui est signe de paix en Casamance.
Le drapeau du Sénégal descendu et remplacé par un drapeau blanc
Les hommes devant et les femmes derrière, les marcheurs se dirigent vers le centre-ville en suivant la route qui mène au Cap-Skring. Ils se heurtent à un premier barrage de la police qui sera vite écrasé et certains policiers dans la débande y laisseront leurs armes. Ils se heurteront à un second barrage policier, dressé près de l’hôpital Silence et c’est ici que les premières escarmouches éclateront entre eux et les forces de l’ordre. Mais l’usage des bombes lacrymogènes pour disperser les manifestants n’y fera rien. Ils poursuivront leur marche jusqu’à la préfecture de Ziguinchor où ils descendront le drapeau du Sénégal. Ce fut ensuite de la brigade de gendarmerie de Boudody d’être descendu. D’autres échauffourées y éclateront avant que les marcheurs ne fassent mouvement vers la Gouvernance où le drapeau sera également descendu par Sidy Badji qui sera plus tard le chef de Atika, la branche armée du mouvement, il le remplace par un autre drapeau de couleur blanche.
Mais avant qu’ils ne poursuivent leur marche vers le commissariat de police, les forces de l’ordre sortiront les gros moyens de répression pour disperser le mouvement violemment. Beaucoup de manifestants y auraient été tués (on parle d’une trentaine) et d’autres blessés. Beaucoup d’arrestations seront notées dont celle de l’abbé Diamacoune Senghor (qui deviendra le secrétaire général du mouvement) intervenue trois jours avant la marche, alors qu’il était malade et couché dans son lit à la cathédrale de Ziguinchor. Mais beaucoup de manifestants réussiront à s’échapper pour se réfugier à la périphérie sud de la ville où ils passèrent la journée et ne revenant chez eux que dans le milieu de la nuit. Quand le calme est revenu, on est resté pendant un an avant que le problème ne resurgisse.
Les premiers affrontements entre indépendantistes et forces de sécurité
En fait, le 6 décembre 1983, une réunion est convoquée à Diabir, (village situé à un km au sud de Ziguinchor), par des indépendantistes et une patrouille de gendarmerie, partie disperser celle-ci fut attaquée par les initiateurs et trois d’entre eux seront tués (parmi les tués, il y avait le lieutenant Amadou Tidiane Gadio) et leur Land Rover incendiée.
Les indépendantistes qui avaient caché leurs armes dans la forêt depuis cet incident lanceront une attaque dans la ville de Ziguinchor le 18 décembre 1983. Cette attaque avait été perçue par beaucoup d’observateurs comme étant une réponse aux peines d’emprisonnement, prononcées quelques jours auparavant contre les responsables et militants du mouvement dont l’abbé Diamacoune, arrêtés suite à la marche du 26 décembre de l’année précédente. Sous la conduite de feu Aliou Badji et Antoine Ngandoul, les manifestants, armés de fusils de chasse, de quelques kalachnikovs, de flèches et de machettes vont attaquer simultanément plusieurs endroits de la ville. La confusion est totale dans la ville où les populations n’avaient jamais vécu une pareille situation. Plusieurs quartiers se transforment en un champ de bataille. De nombreuses victimes sont notées aussi bien du côté des manifestants que du côté des forces de l’ordre. Même des innocents sont tués. La RTS, lors de son édition de 13h fait état d’une vingtaine de morts, 15 du côté des manifestants et 5 dans les rangs des forces de l’ordre. Toutes les radios du monde se braquent sur la Casamance. De nombreuses arrestations seront opérées et cela jusqu’à l’intérieur des hôpitaux où certains blessés étaient en observation.
Sidy Badji crée Atika
Après ces affrontements au cours desquels Aliou Badji qui dirigeait les opérations fut tué, Sidy Badji, un ancien de l’armée française (il avait pris part à la guerre d’Algérie), prit les autres manifestants qui avaient réussi à s’échapper pour se réfugier à Mandina Mancagne (périphérie sud de Ziguinchor) avant de s’enfoncer dans la brousse vers la frontière bissau-guinéenne. Les forces de l’ordre loin de désarmer vont poursuivre la traque. Et pour faire face à cette situation, Sidy Badji va mettre en place une branche armée. Ainsi est né Atika. La première base sera implantée vers Mpack, village situé à moins de 100 mètres de la frontière bissau-guinéenne avant que d’autres ne soient implantées toujours dans cette même zone. Mais l’essentiel des combattants étaient composés de vieux. Mais en 1984, des jeunes (des élèves pour la plupart) seront massivement recrutés et parmi eux Salif Sadio, Kamougué Diatta, Magne Diémé,…
Création du Front nord en 1990 et troubles au sein de Atika
En 1990, Sidy Badji demandera un groupe de combattants d’aller s’implanter au nord (frontière gambienne). C’est ainsi qu’est né le front nord avec comme chef Kamougué Diatta qui avait établi son quartier général à Diakaye. L’implantation de Kamougué Diatta et son groupe dans cette partie entraînera de violents affrontements entre eux et l’armée. Des braquages sont aussi notés sur les axes routiers.
Sidy Badji dirigera Atika jusqu’en 1992 avant de quitter le maquis suite à des malentendus qui l’opposait à Léopold Sagna qui le mettra par deux fois aux arrêts avant de le libérer sous la pression de la Guinée-Bissau. Après sa libération le vieux Sidy, la mort dans l’âme quittera le maquis pour s’installer à Ziguinchor. Ainsi Léopold Sagna, un ancien caporal de l’armée sénégalaise, devient le chef de Atika. Ce dernier perdra aussi son poste suite à une rencontre qu’il a eue avec le président Abdou Diouf qu’il l’avait reçu au palais présidentiel à Dakar. Des responsables et combattants du Mfdc qui avaient perçu ce geste comme une trahison avaient mis en selle Salif Sadio (qui était jusque peu connu) pour prendre la tête du maquis.
Oumar Diatta, un journaliste, écrivain et spécialiste du conflit retrace les temps forts de celui-ci
»L’origine de ce conflit, tout le monde le sait, c’est une revendication indépendantiste formulée par des Casamançais qui en 1982 avaient organisé une marche dans les rues de Ziguinchor pour réclamer l’indépendance de la Casamance. Donc tout est parti de là. A cette marche, l’Etat du Sénégal avait réagi par la violence et les marcheurs, un an plus tard, ont fait une contre-action par la violence. C’est ce qu’on a appelé l’insurrection armée du 18 décembre 1983 qu’on a baptisé la bataille de Ziguinchor. Tout est parti donc d’une revendication politique de l’indépendance de la Casamance formulée par un groupe de marcheurs qui se réclamaient du mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc). ,Et depuis lors, le cycle de la violence n’a pas disparu même si cela évolue en dents de scie. Pendant 30 ans, donc la Casamance est dans cette situation de ni paix de ni guerre », rappelle le journaliste, écrivain et spécialiste de ce conflit, Oumar Diatta qui a récemment publié un livre consacré à ce conflit aux éditions Harmattan.
Après les événements de décembre 1983, marqués par de nombreux morts aussi bien du côté des indépendantistes que des forces de sécurité sénégalaises, ce conflit a été rangé pendant plusieurs années dans les oubliettes avant de resurgir en 1990. En fait, les indépendantistes qui s’étaient retirés dans la forêt pour créer une branche militaire qui s’appelle Atika, referont surface avec, cette fois-ci, des fusils de guerre (des kalachnikovs) pour faire des braquages sur les axes routiers de la Casamance et s’attaquer aux symboles de la République. Cela entraînera de violents affrontements entre eux et l’armée sénégalaise avant que n’intervienne le premier accord de cessez-le-feu, signé entre le mouvement indépendantiste.
»Après les événements du 18 décembre 1983, il y avait un calme plat sur toute l’étendue de la région pendant plusieurs années. Mais à partir de 1990, il y a eu la naissance de la branche militaire du mouvement indépendantiste qui s’appelle Atika. A partir de 1990 donc, on a vécu une nouvelle situation d’affrontements armés et l’aile militaire du Mfdc a commencé à s’installer un peu partout en Casamance, un groupe de combattants avait quitté l’axe sud (frontière bissau-guinéenne) pour s’installer dans l’axe nord (frontière gambienne). Donc progressivement on s’acheminait vers un engrenage militaire », se souvient Oumar Diatta.
L’escalade militaire qui s’en suivra mettra la Casamance au devant de l’actualité internationale jusqu’au mois de mai 1991, date à laquelle le gouvernement sénégalais et les chefs rebelles signeront leur premier accord de cessez-le-feu de l’histoire avec les bons offices de la Guinée-Bissau.
« Au mois de mai 1991, il y a eu un accord de cessez-le-feu. Celui-ci, parrainé par la Guinée-Bissau avait mis un terme aux violents affrontements de l’époque. Ce qui avait auguré d’une paix définitive. Malheureusement, il y a une recrudescence de la violence jusqu’en juillet1993 où un autre accord de cessez-le-feu avait été signé entre le gouvernement sénégalais et l’abbé Diamacoune Senghor, le secrétaire général du Mfdc », note t-il, rappelant que la suite sera le témoignage de la France sur le statut colonial de la Casamance, revendiqué par le Mfdc. »Ensuite, il y a le témoignage de la France par Jacques Charpy qui fut un moment fort de cette crise. Ce témoignage avait un titre étrange. Il est intitulé la Casamance et le Sénégal du temps de la colonisation française, donc il y a là une dichotomie qu’il fallait interpréter. La violence reprendra encore de plus fort en 1995 avec la mort du sous-préfet de Sindian (localité située près de la frontière gambienne), exécuté dans la brousse par des combattants rebelles non contents du recouvrement des taxes rurales qu’il effectuait et la disparition de 4 touristes français, les couples Gagnaire et Cave, qui avaient quitté Ziguinchor pour se rendre au site balnéaire du Cap-Skring. Le paroxysme de la violence sera la mort, à Babonda (frontière bissau-guinéenne) de 23 soldats sénégalais, tués lors de violents affrontements contre les rebelles. En 1997, 25 autres militaires sénégalais seront tués à la périphérie sud de Ziguinchor. En 1998, les indépendantistes sont intervenus en Guinée-Bissau pour soutenir le Général Ansoumane Mané, le chef major de l’armée de ce pays qui s’était mutiné contre le président de la république de l’époque Nino Vieira qui l’avait accusé de trafic d’armées vers la Casamance en vue d’aider le Mfdc. De son côté, Nino Vieira était soutenu par le gouvernement sénégalais qui avait envoyé un très fort contingent de soldats pour mâter la mutinerie. Au finish, le général Mané remportera la guerre et chassera Nino Vieira du pouvoir. Après cet événement, la violence montera d’un cran. Les rebelles rentrés de la Guinée-Bissau avec un puissant arsenal de guerre attaqueront sur tous les fronts faisant régulièrement des incursions dans la ville de Ziguinchor. Toute la Casamance sera à feu et à sang jusqu’en juin 1999, date à laquelle il y a les journées de réflexion de Banjul du Mfdc qui avaient eu un impact réel sur le processus de paix. C’est à partir de cette période qu’on a noté une certaine accalmie sur le terrain. Malheureusement cette période a été suivie par le départ du président Abdou Diouf, donc par le changement de régime en février 2000. Et quand Abdoulaye Wade est venu, il a remis en cause tous ces acquis réalisés par son prédécesseur. Cela a eu pour conséquences, la reprise des hostilités jusqu’au 30 décembre 2004, date à laquelle il a signé des accords de paix ici à Ziguinchor avec le secrétaire général du Mfdc. Cela a été le plus grand temps fort du conflit casamançais sous le règne de Abdoulaye Wade. Ces accords n’ont certes pas donné le résultat escompté puisque la guerre va continuer sur le terrain et en particulièrement dans le courant de l’année 2011, c’est à dire à la veille du départ de Wade du pouvoir, marqué par de violentes attaques des rebelles contre les cantonnements de l’armée sénégalaise à plusieurs endroits de la Casamance. Attaques à l’occasion desquelles des militaires et des gendarmes furent capturés et faits prisonniers par les rebelles. Le dernier grand moment de ce conflit est la récente libération de ces prisonniers survenue en début de ce mois de décembre », affirme t-il.
Selon Oumar Diatta, si toutes les initiatives de paix ont échoué durant toutes ces années, c’est d’abord parce qu’il y a une des parties en conflit en l’occurrence l’Etat du Sénégal qui a peur de la table de négociations ou en tout cas qui ne veut pas y aller. Et en plus, il y a également la division du Mfdc qui est également un obstacle à toute initiative de paix, mentionne t-il.
»Il n’y a pas une volonté réelle de la part des parties en conflit ou d’une des parties à trouver une solution définitive à ce conflit. Je pense que si les deux parties étaient animées d’une volonté réelle, elles peuvent y arriver. Malheureusement, comme j’ai l’habitude de le dire, quelqu’un a peur de la table de négociations. C’est pourquoi cela dure, c’est aujourd’hui le plus vieux conflit en Afrique au sud du Sahara. Et ce quelqu’un, c’est l’Etat parce que le Mfdc a sorti, à plusieurs reprises, des communiqués pour exprimer sa volonté d’aller à la table de négociations. Et aussi l’Etat du Sénégal ne doit pas vouloir être juge et partie, ce n’est pas lui qui doit fixer les termes de la négociation et dire qu’il négociera tout sauf l’indépendance de la Casamance. Il faut trouver un médiateur, une organisation par exemple, pour jouer les médiations », relève t-il avant de souligner: »Il y a d’autres détails telle que la division du Mfdc en 1000 morceaux qui fait que parfois c’est difficile de négocier parce qu’on ne sait pas avec qui négocier. C’est également, l’un des problèmes majeurs que le Mfdc pose dans le processus de recherche de solution de paix », note t-il, imputant cette division au gouvernement du Sénégal qui, selon lui, a certainement fait cela pour affaiblir le mouvement ou d’en faire un prétexte pour ne pas négocier. »Le pouvoir, sous le règne de Abdoulaye Wade, n’a pas joué franc jeu, il a tout pour diviser le Mfdc pour l’affaiblir et probablement en faire un prétexte pour ne pas négocier ».
Les conséquences économiques et sociales du conflit contées par un déplacé
Tidiane Diédhiou habitant un village situé à une vingtaine de kilomètres, à l’est de Ziguinchor, souligne que ce conflit a brisé la vie de sa famille qui a été obligée de quitter son village, aux temps forts du conflit pour venir se réfugier à Ziguinchor à cause de la violence. Depuis lors, les années passent et le calvaire s’accentue pour lui et ses proches, déplore t-il.
»Nous avons quitté notre village depuis plus de quinze ans à cause de la violence, d’une part il y avait les rebelles qui venaient nous violenter et prendre nos biens et d’autre part ce sont les militaires qui nous rendaient la vie impossible. Ils nous taxent d’être des pro-rebelles. Donc nous étions entre deux feux. La seule solution c’était donc de fuir pour éviter d’être tués comme l’ont été certains des villages qui nous entourent. Finalement nous sommes venus ici à Ziguinchor sans aucune assistance d’organisations humanitaires. Ce sont des parents qui nous avaient accueillis chez eux dans des conditions d’enfer. En fait, ils nous ont donné une chambre où nous devions nous entacher moi, ma femme et mes 5 enfants. l’année suivante, j’ai construit une chambre en banco dans la cour de la maison pour les enfants. Mais, cela était loin de mettre fin à nos difficultés parce que nous n’avions rien à manger. Et quand la paix est revenue, nous ne pouvions repartir retrouver notre village et nos champs à cause des mines qui faisaient des ravages dans toute la zone. On nous a dit que la zone a été déminée mais nous avons toujours peur de rentrer, aujourd’hui nous mangeons grâce à de petites activités temporaires que moi et ma femme menons dans la ville de Ziguinchor », raconte t-il.
Il faut signaler que la situation est relativement calme dans la région depuis plusieurs mois, le sang n’y coule plus. Ce qui suscite un certain espoir chez les populations, très pressées de voir ce conflit finir. Cet espoir a été encore renforcé ces derniers jours par la libération des soldats sénégalais, détenus depuis un an par Salif Sadio, le chef de la branche armée du Mfdc, qui a déclaré qu’il est prêt à aller à la table de négociations.
»Depuis un certain temps, la situation est calme dans la région. Cela donne un grand espoir, d’autant que les rebelles ont récemment fait un geste inespéré, à savoir la libération des soldats sénégalais qu’ils avaient capturés l’année dernière. Et Salif Sadio dit qu’il est prêt pour la négociation », a relevé Tidiane Diédhiou
Diasporas.fr / Ibou Camara