Le Dr. Apakena Diémé: « La réforme du MFDC passe par une gouvernance efficace et une armée unifiée. »
À quand la réforme du MFDC ? Telle est la question structurant la contribution courageuse et critique de Bintou Diallo, dans les colonnes du « Journal du pays ».Ce qu’elle entend par réforme, peut signifier aussi modernisation. Ces notions, dans le contexte du MFDC, renvoient au changement de la gouvernance du MFDC ; à la mise en place d’un modèle horizontal de gestion des forces politiques et militaires de la Casamance ; à une attitude de rassemblement de ces forces au bénéfice exclusif de la cause politique.
C’est du moins l’interprétation de prolongement de la pensée de Bintou Diallo. Voici, pour ma part, une brève contribution au débat.
Pourquoi avons-nous besoin de réformer le MFDC ou de le moderniser. C’est, entre autres parce que, nous constatons en effet, et Bintou Diallo a raison, que depuis la disparition de Diamacoune, une autorité vers laquelle convergent toutes les forces démocratiques, qui mette en place une politique volontariste de rassemblement, qui transcende les querelles et les rancunes, qui positive et valorise toutes les individualités, nous manque.
Nous oublions souvent que nous sommes un mouvement des forces démocratiques. Or, la réalisation de l’objectif d’indépendance s’appuiera certes sur ces forces, mais en les rassemblant sans forcément une unité organique de subordination verticale. Il s’agirait plutôt d’une unité d’action dont les résultats comporteront eux mêmes l’élément de fait qui réunifiera le peuple, son armée et sa direction politique.
C’est aussi parce que nous avons du mal, et c’est une auto critique, à articuler de façon efficace, suivant la nouvelle gouvernance qu’implique tout mouvement de réforme ou de modernisation, les forces de la résistance militaire et celles de la résistance politique et/ ou culturelle.
Le travail en cours au sein des leaders du MFDC en exil vise justement à établir une articulation, mais aussi à introduire au sein du mouvement, non pas les débats stériles, mais des séances périodiques intégrant de larges parties ou groupes du mouvement et dont la fonction politique consisterait à procéder, de façon libre et démocratique, à l’analyse, à la critique et à l’invention politique
Les nouvelles forces jeunes instruites ou pas auxquelles Bintou Diallo a fait allusion qui sont dans le maquis ou pas, les paysans, les artistes, les femmes, les ouvriers et cadres etc… ont hâte d’un MFDC qui sache accorder certes le primat à la lutte armée, mais en la doublant de la mise en synergie des forces, au travers d’une structure ouverte, démocratique, fonctionnant tel un appareil doté d’organes. Avec comme seul enjeu, l’efficacité de la lutte.
Au delà des questions de structure et de son fonctionnement suivant une gouvernance horizontale qui soit inhérente à certains aspects de nos traditions politiques comme l’égalité, l’acéphalisme démocratique et autres, je pense que la réforme doit aller plus loin.
Il s’agirait de la porter jusqu’au niveau du discours même. Je veux dire par là que la pensée politique qui doit accompagner la lutte armée et la mobilisation militante, doit consister à montrer en quoi notre projet de société serait- elle différente de ce que notre peuple et les autres ont vu jusqu’ici dans leur histoire politique.
En quoi est-il créateur d’un nouveau pacte socio politique ; en quoi est-il porteur d’une éthique et d’une morale présidant à la fabrique d’un nouvel homme casamançais et africain ; en quoi est-ce que le modèle institutionnel que nous entendons mettre en place est-il orignal et attractif ; en quoi le modèle de développement basé sur l’agriculture donnant au peuple le pouvoir économique et pas à des groupuscules, pourrait-elle être la base socio politique d’une extrapolation progressiste vers l’acquisition du savoir-faire scientifique et technique, sobre et s’inspirant des savoirs dits traditionnels, en vue de trouver une synthèse intelligente ; en quoi le fait de libérer notre peuple, offre t-il des perspectives meilleures à tous points de vue.
Si nous ne sommes pas capables, dans le MFDC, d’engager ces débats, d’éclairer humblement les masses, si nous avons pour seules forces, celles qui font du béni oui-oui, si nous ne sommes pas capables d’accompagner nos forces armées réunifiées en construisant les piliers idéologiques, mentaux, institutionnels, socio économiques de la Casamance de demain, alors autant rendre le tablier.
Et comme il n’en n’est pas question, soyons un MFDC modernisé, qui accepte le débat, qui ne se soumet pas, tel les adeptes d’une secte à un gourou, mais qui sache se montrer utile et efficace, peu bavard, et surtout démocratique
Certes, les colonnes du « journal du pays » serviront de lieu d’un débat que Bintou Diallo ouvre, et auquel j’invite ainsi à mon tour tous les cadres et intellectuels du MFDC militants ou sympathisants, ou même des anti-MFDC, pourquoi pas, mais le lieu privilégié et qui soit susceptible de créer une systématisation structurante, c’est le congrès du MFDC, ou une Réunion. On peut l’appeler comme on veut.
Poursuivons le débat ainsi courageusement et efficacement ouvert par Bintou Diallo, au nom de notre peuple en lutte. Vous verrez la suite de mon humble participation, sans trahir le souci du secret, propre à toute lutte.
Je parle du secret stratégique et tactique, qui fait parfois que certains d’entre nous ne veulent pas tout étaler, à juste titre, y compris dans un essai, par exemple.
Dans le discours, surtout bavard de l’autre, on détecte ses forces et ses faiblesses. Menons donc ce débat, comme si nous étions dans un champ de mise en œuvre d’une stratégie. Car, comme dit bien Michel Foucault: « Même dans le savoir et la pensée, il y a des batailles, qu’on gagne ou qu’on perd. »
La réforme du MFDC, c’est avec une gouvernance efficace et une armée réunifiée.
Dr. Ahmed Apakena Diémé, membre du cercle des intellectuels et universitaires du MFDC. Allemagne.