Le Docteur Ahmed Apakena Diémé: « Pour le processus de réglement du conflit, il faut donner de la hauteur à la question de la Casamance »
Face à la démarche du régime du Président Macky Sall mise en œuvre depuis quelques mois et qui procède à la négation du fond de la problématique historico-politico-juridique, ainsi qu’à la ligne politique consistant en l’expérimentation de la territorialisation de sa philosophie de développement, en vue de la résolution de la question de la Casamance, il est urgent de recadrer le débat au sujet de la question de la Casamance, notamment dans le sens du contenu politique qu’il faut donner à ce qu’on entend par processus de paix. Le choix sémantique et tactique du Mouvement de Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) étant plutôt processus de négociations politiques.
Ainsi, en quelques points, non exhaustifs, voici ce que recouvre l’expression « donner de la hauteur à la question de la Casamance ».
1) on ne doit pas perdre de vue que négocier implique ou présuppose un scénario chez les belligérants en conflit. Il y a toujours dans des processus de négociations, des pré-schémas.
Or, il se trouve que, vu la manière dont le Sénégal et le groupe de réflexion dirigé par Monsieur Robert Sagna veulent engager les choses, on risque de ne pas voir l’application des scénarii de la Casamance en lutte, mais plutôt un plan tout cuit, monté et destiné à être consommé.
Sous ce rapport, comme d’habitude, le Sénégal par mépris des cadres du MFDC et de sa direction politique, étouffe d’avance l’intelligence politique des Casamançais qui pouvait consister en plan ou scénario dans la résolution du conflit.
Au sein, du MFDC, mais cela est pour le moment à l’état de débat, il s’agirait de faire en sorte que durant le processus de paix, l’ONU soumette la Casamance à sa tutelle provisoire ou transitoire, comme garantie en vue d’éventuel référendum ou autre consultation qui seraient énoncés dans un texte d’accord politique.
Ce qui fonde le choix de l’ONU, c’est non seulement la correspondance entre la qualité de cette organisation internationale et le fait que la question de la Casamance relève du droit international : réalité de territoire, remise en cause de la souveraineté politique du Sénégal sur notre territoire, aspiration à l’indépendance, etc.…
Si les deux parties s’engagent dans un texte d’accord, l’ONU nous paraît plus appropriée pour la surveillance de l’application de l’accord. Dans la mesure où elle est une organisation internationale dont le statut juridique lui confère des prérogatives et une certaine légitimité dans l’implication politique, en vue de la résolution du conflit politique entre le MFDC et le gouvernement du Sénégal.
De même, par comparaison à la Communauté Sant’Egidio, la médiation onusienne peut avoir plus d’effet contraignant sur les parties en conflit que la communauté catholique qui n’a, au fond, que sa générosité moralisante.
Ni Sant’Egidio, ni le groupe de réflexion de Robert ni les deux voisins de la Casamance, la Gambie et la Guinée Bissau ne sont en mesure de garantir l’application des accords qui seraient conclus.
A moins qu’un des Etats reçoive mandat de la communauté internationale pour conduire les phases d’application des accords signés. Ou qu’il affirme son amitié et sa solidarité à la Casamance en lutte, comme c’est le cas entre l’Algérie et le Sahara occidental.
2) Donner de la hauteur à la question de la Casamance, c’est faire en sorte que tout un peuple ou ses enfants qui se sacrifient depuis 30 ans pour une cause bien politique, soient justement récompensés, justement respectés et considérés, ne serait-ce qu’au travers d’une considération de leurs idées et surtout de ce qui se fera durant le processus de paix, à savoir être en mesure de renouer avec les masses casamançaises en vue de faire campagne pour la cause nationaliste.
Notre rêve politique a toujours consisté en l’invention, en la création d’un nouvel homme casamançais qui soit en mesure d’inverser les rapports d’assujettissement, de mépris et d’hégémonisme culturel entre lui et le modèle confrérico wolof sénégalais ; qui soit en mesure de renouer avec les valeurs que ses ancêtres résistants avaient dressées contre les nombreux envahisseurs qu’il a connu ; de créer une démocratie nouvelle et originale qui restaure le pouvoir réel des peuples ; qui soit capable enfin d’inventer une nouvelle éthique du développement qui soit populaire, libératrice et productrice de la prospérité bien méritée.
En temps opportun, nous répondrons aux détracteurs qui disent que le MFDC n’a aucun schéma de développement, bref de projet de société.
3) Donner de la hauteur à la question de la Casamance, c’est, par conséquent, poser le débat au niveau de trois axes.
Le débat sur trois axes ou dimensions de la problématique de la Casamance, à savoir la dimension historique avec une posture d’écoute des historiographies en lutte, en bataille. Sur cet axe, la restauration de la vérité à la faveur de l’accès libre et critique aux archives coloniales, constituerait un acte de justice et un cadre de recherche démocratique de la vérité sur la Casamance, avec et/ou dans le Sénégal.
Il s’agit aussi de la dimension politique, à savoir trouver une formule de mesure de l’idée d’indépendance ou d’anti indépendance. Sur cet axe, la perspective de mesure de l’opinion présuppose d’abord un texte d’accord entre les deux parties en conflit, mais surtout, le temps et les dispositifs médiatico, financiers qui permettent au MFDC d’être à armes égales avec le pouvoir dominant du Sénégal, en vue de donner une forme politique à son idéal d’indépendance en renouant avec les masses casamançaises.
Il s’agit de la dimension juridique, à savoir la jurisprudence que constituent dans le droit international africain, les cas du Sud Soudan, du Sahara occidental, de l’Erythrée, et même du Kosovo et la Catalogne en Espagne, pour ce qui de l’Europe. La quelle jurisprudence signifie au fond l’obéissance aux principes juridiques du droit international.
Sur cet axe, il est important d’indiquer que la jurisprudence est la seule manière de création du droit, étant donné que celui-ci n’est pas à essentialiser, mais à soumettre à l’historicité socio politique. Le droit, ce n’est pas de décréter, une fois pour toutes les statuts des peuples, mais d’inventer des statuts, à la lumière des luttes qu’ils mènent ou qu’ils ont menées, au nom du droit à la résistance. C’est pourquoi on l’appelle droit positif, n’est-ce pas.
Il s’agit enfin de la dimension historique, qui consistera à déterrer les archives en toute liberté ; et la France doit les laisser à la disposition des deux parties pour un débat et une exploitation équitable et critique. Elle ne doit plus nous expédier un expert colonial pour nous apprendre ce que signifie des siècles de lutte et de résistance de nos ancêtres face à toutes les formes de domination politique et économique.
Le MFDC n’appelle pas la France à témoigner, mais à arbitrer, en tant qu’elle fut colonialiste. Et elle doit le faire selon une approche de problématisation de l’histoire, d’interrogation des archives, de telle sorte que derrière ou sous la parole du dominant, surgisse celle de l’opprimé ; laquelle parole est génératrice de notre nationalisme. Oh, combien fondé et riche en faits de batailles illustratives de notre conscience et donc réalité de peuple.
Car notre droit à l’indépendance est « sui generis » au sens où l’entend Emile Durkheim. De ce point de vue, nul peuple au monde ne peut et n’a le droit de dire le droit pour un autre, en ce qui concerne son statut. Puisque le droit s’arrache, il vient après le combat, comme aime à le dire Foucault, pas avant. Et dès lors que c’est le combat qui en constitue la matrice, il est comme dirait les anglais « a Gift » divin sur lequel, de par le fait que nous soyons nés égaux devant lui, nous soyons dans la même foulée naturellement libres. Etre naturellement libre est vraiment Casamançais.
4) Donner de la hauteur à la question de la Casamance, c’est de faire en sorte que dans cette histoire qui nous oppose à l’Etat sénégalais depuis 30 ans, quelque chose de radicalement différent pour la Casamance, se produise pour le reste de son destin: je veux dire l’inventivité économique et institutionnelle, la production de nouvelles alternatives de développement et de vie politique surtout la démocratie à la casamançaise. On reviendra plus tard, sur cette notion de la démocratie à la Casamançaise.
C’est une question théorique et certains aspects de notre discours sont gardés secrètement, car en stratégie, le secret est fondamental. Il n’y a pas au monde celui qui a compris plus que le casamançais, le sens du secret. Ça se voit dans le monde du bois sacré.
D’autant plus, du reste, que le Sénégal a l’habitude de piquer nos idées, pour les dénaturer par la suite.
Je suggèrerai à la direction politique et aux intellectuels du MFDC, de se rappeler que la formulation des idées fait partie des batailles.
Pour nous, contrairement à ce que chante la diplomatie sénégalaise, il n’y a pas de processus de négociations, car ce n’est pas ainsi qu’on doit ouvrir des négociations sérieuses et dignes de la problématique Casamance que nous venons, ci-haut, de présenter brièvement.
De même, dans la démarche en cours du régime de Macky Sall, certains préalables, ne sont pas respectés, comme l’un des plus importants, la réunification politique et militaire du MFDC, la levée du mandat d’arrêt contre Monsieur Mamadou Nkrumah Sané, la libération de tous les détenus politiques casamançais croupissant dans les prisons sénégalaises, le choix d’un médiateur neutre et crédible.
Il reste évident que la question de la Casamance relève du droit international. Ce n’est donc pas une organisation comme Sant’ Egidio sans aucune qualification juridique ou n’incarnant aucunement un pouvoir étatique ou inter étatique, avec effet contraignant, qui va servir de médiateur sérieux. Cette communauté est en mal de publicité, et veut, de manière mafieuse, s’occuper d’un dossier politique dont la complexité contraste avec l’amateurisme qui caractérise actuellement sa démarche et ses communiqués qu’il fait à la place du MFDC.
Nous pressentons une manœuvre visant à imposer à la Casamance ce qu’on appelle en ce moment l’alternative à l’indépendance, une alternative portée par le groupe de réflexion présidé par Robert Sagna. Une manœuvre précédé, comme pour préparer les esprits, d’une campagne de manipulation médiatico-politique visant à couper l’aile militaire de l’aile politique, à semer la méfiance et la suspicion internes à Attika, à séduire la Communauté internationale par des artifices, en vue de retoucher les milliards pour la paix en Casamance.
C’est seulement en restaurant le vrai débat sur la Casamance, en respectant la Casamance en lutte dont l’intelligence politique et stratégique s’est renforcée, qu’on peut enfin, pour paraphraser Diamacoune, bâtir la paix juste et fondée en vérité, au travers d’un processus de négociations politiques.
Dr Ahmed Apakena Diémé, Directeur du Bureau de consulting SASCOM, membre du CIU du MFDC, Bonn, Allemagne.