Journaliste et observateur très averti de la crise en Casamance, par ailleurs auteur du premier livre sur l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, René Capain Bassène a accepté de se prononcer à travers une assez longue interview sur la situation actuelle du processus de paix et sur la volonté du MFDC de voir les Etats-Unis s’impliquer dans la recherche de la paix en Casamance.

Comment analysez-vous monsieur René Capain Bassène la décision du MFDC de voir s’impliquer directement les Etats-Unis dans le processus de négociations ?

C’est une décision qui à mon avis n’est pas fortuite car elle émane de hauts responsables des ailes combattantes, politiques et civiles intérieures et politiques et civiles extérieures du MFDC qui ont tous un vécu et une expérience avérée dans le cadre du processus de négociations entamé sans grands succès depuis 1990.

Selon vous qu’est ce qui a motivé cette décision du MFDC ?

Je ne saurai vous donner la ou les raison (s) exacte(s), cependant je lie pour ma part cette décision à trois facteurs principaux :

– L’impasse notée sur l’évolution du processus de paix depuis deux ans.

– La déception du MFDC à la suite des échecs des nombreux accords de paix qui pourtant avaient suscité un gros espoir auprès des sénégalais.

– Et le comportement de certains acteurs ou messieurs Casamance qui n’inspirent plus confiance et ne suscitent aucun espoir de parvenir à une paix dans l’unité donc à une paix durable.

Monsieur Bassène pourquoi dites-vous que les messieurs Casamance n’inspirent plus confiance et espoir ?

Je tiens à préciser que je n’ai absolument rien contre eux. Je reconnais qu’ils ont tant bien que mal contribué de par leurs démarches à l’instauration du climat de ni guerre ni paix que traverse la Casamance depuis 2000. C’est déjà un gros effort à saluer. Mais je crois qu’ils ont fini de faire leurs preuves. Ils ont atteint leurs limites surtout à la suite du fameux accord de paix du 30 décembre 2004. Depuis lors, ils n’ont plus rien apporté de durable et de concret en ce qui se rapporte à l’avancement du processus de paix. Pis, ils sont entrain de décevoir les populations par leurs comportements sur le terrain.

Je ne comprends et ne supporte pas le fait que ces acteurs dont l’objectif est de contribuer au retour de la paix, soient entrain de se livrer une rude bataille de positionnement en utilisant des procédés pas du tout « catholiques » pour mieux s’attirer la sympathie du MFDC et des autorités sénégalaises.

Ainsi, cette course aux honneurs (chaque groupe voulant paraître comme étant le meilleur médiateur) a fini par les transformer en un gros facteur bloquant du processus de paix. En effet sur le terrain, chacun a sa chasse gardée, sa faction de combattants avec qui il est le seul à pouvoir accéder et dialoguer. Ils sont entrain d’aggraver les dissensions intra MFDC en lieu et place de les exhorter à l’unité afin de parler d’une seule voix et faire redémarrer le processus de paix en panne depuis 2004.

Et pourtant, ils sont toujours en Casamance entrain d’œuvrer pour la paix n’est-ce pas bien cela ?

Demander leur de faire le bilan de leurs activités depuis deux ans, vous verrez qu’il se résumera en l’organisation de séries d’ateliers, de fora ou séminaires de formation en gestion de conflits et des marches pour les uns, de financements de « cérémonies traditionnelles » menées par les soit « disant femmes du bois sacré » et des séances de prières dans les églises et mosquées ou encore par des tournés dites de sensibilisation à travers la Casamance et parfois à l’intérieur du pays.

Tout ceci constitue un ensemble d’activités financièrement très couteux avec un très faible impact très lointain sur le processus de paix. Depuis deux ans, ils n’ont réussi à obtenir aucune concession de la part du MFDC (pas de construction de pistes de production, pas de poursuite du déminage, rien en terme d’accord de paix). Et je tiens à souligner que contrairement à ce que pense l’opinion ; aucun acteur n’est entrain de mener des négociations en douce. C’est une fausse information. Le processus de paix est grippé. Les seuls acteurs qui tentent de négocier et dont je ne partage pas la démarche c’est Sant’ Egidio et Salif Sadio.

Pourquoi condamnez-vous leur démarche alors qu’ils sont parvenus à signer un accord de paix.

Vous voulez me parler de l’accord de paix unilatéral de Salif Sadio avec Sant’ Egidio ?

Oui nous faisons allusion à cet accord que nous considérons comme un grand acquis.

Eh bien ! C’est exactement à cause de son caractère unilatéral que je ne l’approuve pas. La revendication casamançaise ne se limite pas seulement au MFDC. Elle comporte plusieurs aspects d’ordre économique, géographique et surtout culturel qui impliquent tous les casamançais.

Je comprends que vous considériez cela comme un grand acquis parce que c’est Salif Sadio, ce chef réputé radical qui est signataire de cet accord, mais j’espère aussi qu’en toute sincérité vous conviendrez avec moi que Salif Sadio seul ne peut pas décider au nom du MFDC et de la Casamance toute entière. C’est prétentieux pour une seule personne de vouloir et de pouvoir décider du devenir de la Casamance. C’est absurde.

Ce phénomène de négociations séparées n’est pas nouveau. Il est vieux de vingt-trois ans. En effet en 1990 le gouvernement d’ Abdou Diouf avait signé avec feu Sidy Badji et la faction de Diakaye dirigée par Kamougué Diatta un accord de paix unilatéral qui avait comme résultat la pacification du département de Bignona à travers le financement par l’Etat de projets de développement aux combattants de cette faction. Nous connaissons tous la suite car la guerre, au lieu de baisser d’intensité, s’est envenimée d’avantage.

La même démarche a été reconduite sous le régime de maitre Abdoulaye Wade à partir de 2000 avec César Atoute Badiate qui à cette époque avait eu à signer des accords de paix unilatéraux dont le fameux accord du 30 décembre 2004. Hélas aucun d’entre eux n’a jamais eu l’effet escompté.

C’est cette même expérience sans effets durables qui est entrain d’être remoulée voir même pérennisée sous le président Macky Sall avec cet accord unilatéral signé avec Salif Sadio.

C’est pour dire que la solution qui consiste à dire qu’il faut négocier et signer avec celui qui est disposé à négocier à la suite de plusieurs contacts… est trop simpliste et sans résultat durable. A mon avis le rôle des médiateurs ou négociateurs est de dégager des stratégies afin de tout faire pour non seulement chercher à comprendre les raisons des réticences ou refus de négocier des différents chefs de factions du MFDC, mais également de tout faire pour les convaincre à accepter de négocier.

Et depuis 1990 c’est pratiquement les mêmes acteurs qui s’occupent du dossier, ainsi comme je l’ai souligné plus haut, ils ont réussi à fabriquer à Abdou Diouf son Kamougué Diatta, à Abdoulaye Wade son César Atoute Badiate puis son Ousmane Gnantang Diatta et au président Macky Sall, ils sont entrain de lui forger son Salif Sadio. Sans doute qu’ils sont entrain de voir entre Lamarana Sambou et Compass Diatta lequel préparer pour le successeur du président Macky Sall . N’est-ce pas une stratégie très habile de toujours pouvoir s’occuper du dossier casamançais ?

De nos jours, le MFDC mis à part Salif Sadio est conscient que c’est seul dans l’unité et avec une position harmonisée qu’il peut aller à la table des négociations et parvenir à un accord de paix solide et sincère. C’est en tout cas la nouvelle dynamique observée sur le terrain à travers les déclarations des uns et des autres dirigeants de la rébellion toutes ailes confondues. C’est la raison qui explique à mon avis cette invite aux USA de s’impliquer directement dans la gestion de la crise casamançaise afin de booster le processus de paix.

Quelle démarche préconisez-vous alors pour arriver à déclencher le processus de paix en Casamance ?

D’emblée, je dirai que le seul service que pourraient rendre les acteurs de paix en Casamance, c’est d’aider à unifier le MFDC dans sa globalité. Cela est bien possible si chacun d’entre eux accepte de sensibiliser et convaincre « sa faction » à se retrouver avec les autres factions pour parler d’une seule voix conformément au souhait des dirigeants du mouvement irrédentiste.

Cela suppose que ces messieurs Casamance doivent cesser de prendre en otage les populations assoiffées de paix. Ils doivent dépasser leurs querelles de positionnement, accepter de travailler en synergie, ne pas se focaliser sur uniquement l’aile combattante comme c’est le cas, mais de collaborer avec l’aile politique intérieure et extérieure. Je crois entre autre que c’est par ce procédé que pourra être déclenché le processus de paix par des fils du Sénégal et pour le grand bonheur des sénégalais. Autrement ce sera toujours l’impasse et on ne cessera de tourner en rond pour ce qui est de la recherche de la paix en Casamance.

Croyez-vous que les Etats-Unis puissent aider au retour de la paix en Casamance ?

En l’état actuel de la situation sur le terrain concernant le processus de paix, je répondrai sans hésiter et je pèse mes mots que : à part le Bon Dieu, seuls les Etats-Unis pourraient aider à déclencher le processus de paix. C’est ma conviction et j’y crois fermement puisque c’est le MFDC lui-même qui après mure réflexion a délibérément choisi les Etats-Unis et a souhaité les voir s’impliquer directement dans le processus de paix en Casamance en lieu et place d’un accompagnement indirect et assez lointain comme ils l’ont toujours fait.

Que voulez-vous dire par accompagnement indirect ?

En effet, les Etats-Unis ont toujours apporté leur pierre dans la construction de la paix en Casamance par le canal de l’USAID qui a eu à financer plusieurs ONG ou association œuvrant dans le développement, la recherche de la paix et la cohésion sociale ainsi que dans la réinsertion des couches vulnérabilisées par le conflit. Mais toutes ces activités n’ont pas suffi à ramener la paix.

Et depuis bientôt deux ans, il est nommé un ambassadeur conseiller spécial des Etats-Unis pour la Casamance avec pour principale mission d’accompagner le gouvernement et le MFDC dans le processus de négociations.

Mais si on se réfère à la réalité du terrain, on se rend compte que le processus de paix n’as pas de contenu. Il n’y a rien de défini en termes de stratégie et démarches à entreprendre pour arriver à la table de négociations. C’est ce vide que sont entrain de trop mal combler les messieurs Casamance. Ils sont nombreux avec autant de méthodes et de démarches. Ils ont fini par semer une sorte d’anarchie car il n’y a aucune harmonie d’actions. Chacun joue de son côté. Chacun avec son bailleur s’occupant de son processus de paix à lui seul.

Devant un tel cas de figure, je me demande comment de façon concrète pourra se faire l’accompagnement des USA. Ils vont accompagner qui ou quoi ?

C’est ce vide que veut combler le MFDC en leur demandant de bien vouloir s’impliquer directement en les aidant à se réunifier autour de l’essentiel pour aller à la table de négociations.

Ne voyez-vous pas en cela une façon pour le MFDC de chercher à internationaliser le conflit ?

Pour une fois, je vais vous répondre par une question : dites-moi monsieur si le fait que les Etats-Unis aient nommé par décret présidentiel un ambassadeur conseiller spécial des Etats-Unis pour la Casamance et le fait que les mêmes Etats-Unis et l’Union européenne se soient engagés depuis deux ans à accompagner le processus de paix afin que les parties en conflit se retrouvent autour d’une table de négociations est national ou international ? Je vous laisse le soin de répondre au moment que vous jugerez opportun.

Je continue en disant que pour ce qui me concerne, peu importe les acteurs qui seront sur le terrain, l’essentiel est qu’ils soient sincères et qu’ils contribuent positivement au déclenchement du processus de paix.

Quelle serait donc la place des Etats-Unis dans le processus de déclenchement des négociations ?

A mon avis, leur rôle dans un premier temps consistera à aider le MFDC à s’unir autour de l’essentiel en créant un cadre de concertation intra MFDC dont l’aboutissement sera de permettre à l’Etat du Sénégal d’avoir un seul interlocuteur avec qui négocier.

Contrairement au reste des messieurs Casamance et autres intermédiaires ; les USA sont une super puissance, ils n’ont pas besoin de bailleurs et n’ont aucun profit financier à tirer de ces négociations. Et j’insiste encore pour dire qu’au-delà du Bon Dieu, seuls les Etats-Unis sont en mesure d’arriver à unifier le MFDC.

D’où puisez- vous cette certitude monsieur Bassène ?

De la réalité du terrain. On ne peut pas compter sur les messieurs Casamance nationaux pour arriver à une position unifiée du MFDC. Ces messieurs Casamance présentent des cas de figures divers dont aucun n’est nullement rassurant.

Par exemple, les femmes de la plateforme, le mouvement M3K et le groupe de Amsatou Sow Sidibé etc. n’ont depuis leur existence toujours pas d’accès dans le maquis.

Par ailleurs, Robert Sagna n’a plus accès chez Salif Sadio et le COS de l’amiral Farba Sarr et Sant Egidio n’ont pas accès chez César Atoute, Ahmed Saed le comorien ne travaille pas avec Salif Sadio, il a réussi à collaborer avec Compass et Lamarana mais César Atoute a refusé catégoriquement de le rencontrer. Ne me demandez pas le pourquoi. Mais les positions sont tellement radicales que certains acteurs sont obligés pour donner l’impression d’être entrain de travailler de procéder à des négociations séparées ou unilatérales comme le cas Salif Sadio avec Sant Egidio qui on le sait n’aboutiront à rien de durable. D’autres se focalisent sur l’organisation de fora, de marches et tant d’autres petites activités pour donner signe de vie en attendant et avec l’infime espoir de pouvoir accéder un jour à l’une ou l’autre faction combattante.

Les Etats-Unis ne sont pas dans cette situation, ils peuvent par la personne de l’ambassadeur conseiller spécial pour la Casamance accéder sans difficultés chez Salif Sadio, Cesar Atoute Badiate, Ibrahima Compass Diatta et Ansoumana Lamarana Sambou. Ils sont neutres et ont la chance de pouvoir être écoutés par tous ces chefs de factions de Atika qui ont le sait sont tous disposés à négocier.

Leur mission ne sera pas compliquée, il est juste question pour eux non de les convaincre à aller à la table de négociations, mais de les aider à se rassembler, à s’unir puisque c’est ce qu’ils sont entrain de rechercher afin de pouvoir harmoniser leurs positions avant de se retrouver à la table de négociations. Il s’agit en réalité pour les Etats-Unis de les aider à renforcer le cadre de concertation et dialogue intra MFDC déjà existant en vue des négociations avec les autorités sénégalaises.

C’est une invite que leur ont adressé les dirigeants du MFDC qui souhaitent mettre en pratique leur décision et leur déclaration d’aller à la table de négociations pour un retour de la paix en Casamance.

Et vous croyez que les Etats-Unis répondront favorablement à l’appel du MFDC ?

Je ne sais pas, mais à mon très humble avis, ce serait, le plus grand service que les Etats-Unis auront rendu à la Casamance et au Sénégal de façon générale. Et même s’il est considéré géographiquement comme conflit à faible intensité, cette guerre n’a que trop durée et continue toujours à avoir des conséquences fâcheuses sur les populations.

Je comprendrais difficilement un refus des Etats-Unis de venir en aide au peuple casamançais en n’acceptant pas de s’impliquer directement dans le processus de paix.

Les Etats sont intervenus dans plusieurs pays à travers la planète pour régler des conflits. Dans certaines localités ils sont mêmes intervenus militairement pour mettre un terme aux hostilités. En Casamance ils sont invités par le MFDC à les aider à mettre sur pied un cadre de concertation et de dialogue afin de parvenir à une harmonisation de leurs positions en vue des pourparlers avec l’Etat du Sénégal. Je considère cela comme une marque de confiance à leur égard et un honneur qu’ils ne doivent pas refuser. Ils ne peuvent pas rejeter cette main tendue du MFDC en faveur de la paix. Le jour où ils arriveront à unifier le MFDC autour de l’essentiel, les Etats-Unis auront réglé les 60% du conflit en Casamance.

Monsieur Bassène est ce que vous croyez en la disposition du MFDC à aller à la table de négociations ?

Sans détour, je réponds par l’affirmatif. Le MFDC dans son ensemble est bel et bien disposé à négocier pour trouver une issue au conflit. C’est d’ailleurs ce qui explique l’accalmie notée sur le terrain depuis deux ans. Elle n’a pas été négociée par un acteur quelconque, elle émane d’une décision des combattants de taire les armes pour laisser la place au dialogue.

C’est pour la première fois que tous les chefs du MFDC (combattants, civils et politiques) se sont déclarés favorables au dialogue. C’est une grande opportunité qui malheureusement est entrain d’être très mal exploitée à cause encore une fois d’un manque de vision et de contenu à donner au processus de paix, mais surtout à cause du comportement des messieurs Casamance dont l’ardente rivalité est entrain de manière « douce » de progressivement nous éloigner de cette paix tant désirée.

Interview réalisée exclusivement par ARDiallo du Journal du Pays.