Contribution de René C. Bassène: Processus de paix en Casamance, un éternel recommencement
Depuis le déclenchement de la crise en 1982, il a fallu attendre jusqu’en 1990 pour que l’Etat prenne des initiatives en faveur d’une négociation avec le MFDC pour le retour d’une paix définitive en Casamance.
Ainsi du président Diouf au président Abdoulaye Wade puis Macky Sall, le conflit casamançais a enregistré non seulement une succession de médiateurs mais également de commissions de recherche de la paix. Malgré leurs multiples démarches et tentatives en faveur d’un retour à la paix, la crise perdure toujours avec, invariablement des moments de haute et de faible intensité ayant abouti de nos jours à une situation de ni guerre ni paix.
C’est à partir de 1989 – 1990, au moment où le conflit connut un pic de violences, avec un MFDC doté de nouvelles armes automatiques assez sophistiquées et qui multipliait des embuscades avec le soutien quelques fois de la population que l’Etat pour mettre un terme à cette situation, opta pour une première fois pour une démarche pacifique en prônant pour la négociation et le dialogue en lieu et place de la répression et de la lutte armée contre les combattants du MFDC.
C’est donc en 1990 que le processus de paix est enclenché sans jamais enregistrer un résultat probant. Les quelques lueurs d’espoirs des populations s’étaient fondés sur des accords le plus souvent mal négociés et invariablement remis en cause quelques temps après leur signature. Ainsi du régime de l’ancien président Abdou Diouf à celui actuel de Macky Sall, la situation reste la même. Voici donc bientôt 25 ans que le processus de paix demeure toujours infertile malgré une litanie de facilitateurs et de messieurs Casamance
Sous le président Abdou Diouf (1990- 1999)
Le président Abdou Diouf, dans le cadre de la recherche de la paix décida alors de confirmer Marcel Bassène qui déjà s’activait dans le dossier et qui avait de très bons contacts avec certains chefs du maquis à l’époque au poste de chargé de mission et coordonnateur des initiatives de paix en Casamance le 26 juin 1991, faisant de lui le véritable premier « Monsieur Casamance », chargé de négocier avec les combattants du MFDC. Ce dernier s’est appuyé sur un groupe de ses collègues députés libéraux originaires de la Casamance, parmi lesquels Laye Diop Diatta, Moussa Diedhiou et Omar Lamine Badji.
– 1- Le groupe de Marcel Bassène a réussi à convaincre le MFDC de signer avec l’Etat à Toubacouta en 1991 le premier accord de cessez le feu qui sera suivi par celui de Bissau le 31 mai 1991
– 2- Craignant qu’il en fasse une récupération sur le plan politique, Abdou Diouf décida d’impliquer d’autres négociateurs parmi son proche entourage. Il nomma en 1993 un chargé de mission, coordonnateur des initiatives de paix à la présidence de la République, en la personne du général Doudou Diop, son chef d’Etat-major particulier. Cette commission était composée des messieurs Doudou Diop, Mamadou Niang, Assane Seck et Robert Sagna, à l’époque maire de Ziguinchor et ministre. Dès lors, Marcel Bassène vit ses prérogatives progressivement diminuées avec un partage des rôles avec Robert Sagna.
– 3- A la suite de ce comité, il y a eu plusieurs autres structures et initiatives de recherche de paix en Casamance telle que :
– L’implication dans le cadre de la recherche de la paix des organisations des femmes de la religion traditionnelles comme ce fut le cas de celle du « boussana » (fromager), dénommé « antenne » à cause de leur proximité avec l’antenne radio de Colobane, un quartier de la commune de Ziguinchor.
– La mise en place du comité clérical qui a démarché la signature d’un cessez-le-feu signé, le 8 juillet 1993, entre l’Etat et le MFDC (Front sud) et le voyage en France du bureau national du MFDC, en avec l’appui d’André Lewin, alors ambassadeur de France au Sénégal.
– le recours à partir de 1995 au cousinage entre Diola et Sérère, à travers l’association culturelle « Aguène et Diambone » comme vecteur de recherche de la paix.
– La Mission d’observation et de consolidation des accords de paix (Mocap) fut créée pour consolider les acquis de cette la rencontre
– La rencontre pour la première fois le 22 janvier 1999, soit 16 ans après le début du conflit, entre le président Abdou Diouf et l’abbé Diamacoune Senghor, à la gouvernance de Ziguinchor en présence, de l’ambassadeur de France, André Lewin. De ces entrevues entre Abdou Diouf et le Secrétaire Général du MFDC, résulteront les rencontres de Banjul I, du 21 au 25 juin, avec pour objectif de réunir le MFDC.
– La rencontre de Banjul comprenait, une délégation des membres du MFDC ; des gouvernements sénégalais, gambiens et Bissau Guinéens.
– Mais après Banjul I intervinrent les élections présidentielles de 1999 remportées par le président Abdoulaye Wade.
– On retiendra de l’implication personnelle du président Abdou Diouf son retentissant « Djibonket » (« Pardonnez », en diola), qui résonna comme un cri du cœur à l’endroit des combattants du MFDC, mais qui hélas n’eut guère de succès, puisque les hostilités sur terrain ne cessèrent pas.
Le Président Abdoulaye Wade (2000- 2012)
Dés son accession au pouvoir en 2000, le président Abdoulaye Wade se fixa un délai de 100 jours pour trouver une solution définitive à la crise et opta pour une négociation directe et sans intermédiaire entre les combattants et lui. En conséquence, toutes les structures de négociations existantes furent dissoutes, remettant ainsi en cause certains acquis pourtant importants et déterminants dans le cadre de la recherche de la paix en Casamance.
N’ayant pas obtenu de succès, il revint alors très vite sur sa décision de négociation directe, mais au lieu de redynamiser les structures qui existaient, il confia comme son prédécesseur Abdou Diouf le dossier à des personnes chargées de négocier avec le MFDC.
– Il crée en 2000 la Commission de gestion de la paix avec à sa tête, le général Mamadou Niang secondé par le ministre Youba Sambou, originaire de la Casamance. Des différents acquis de ce comité on peut citer entre autre : l’organisation le 16 décembre 2000 d’une cérémonie protocolaire entre le gouvernement et le MFDC en vue de la reprise des négociations en faveur du retour de la paix en Casamance et la rencontre le 25 décembre 2000 à Ziguinchor pour la définition des différents points de discussion entre l’Etat du Sénégal et le MFDC.
– la rencontre en Gambie des 3- 5 janvier 2001 : réunissant les différentes factions du MFDC en vue d’adopter une position commune pour les négociations avec l’Etat du Sénégal.
– La signature le 16 mars 2001 du premier accord de paix entre le gouvernement de l’alternance et une partie de l’aile politique interne et externe du MFDC
– La tenue de Banjul IV le 4 juin 2001
– Et celle de Banjul V le 6 août 2001 qui a consisté en des assises internes du MFDC ayant abouti à la création d’un poste de président et à la nomination d’un nouveau secrétaire général en la personne de Jean-Marie Biagui parce qu’une partie de la délégation du MFDC a souhaité que l’abbé se limite au rôle de président d’honneur du Mouvement
– une autre commission est créée en 2002 : elle avait pour mission de continuer à engager des négociations de paix en Casamance sous la conduite d’Abdoulaye Faye, alors deuxième vice-président de l’Assemblée nationale.
– L’un des principaux acquis de cette structure est l’organisation du 1er septembre au 6 octobre 2002 des assises Casamanço-Casamançaises pour la paix définitive en Casamance.
– Mais tout comme le précédent comité, celui-ci fut dissout pour céder la place à la commission dirigée par le général Abdoulaye Fall, secondé par le chargé de mission à la présidence de la République, Latif Aïdara. Son premier résultat est d’être parvenu à réconcilier Sidy Badji et l’abbé Diamacoune le 16 janvier 2002 à la gouvernance de Ziguinchor. Ils ont également réussi beaucoup d’autres initiatives en renforçant les contacts entre l’Etat et le MFDC.
– Leurs efforts ont abouti à l’adoption de la loi d’amnistie du 21 juillet 2004 puis à la signature des accords de paix du 30 décembre 2004 à Ziguinchor, entre l’Etat du Sénégal et le MFDC.
– Ces accords seront suivis deux mois plus tard précisément les 26 – 27 février 2005 de la signature du protocole d’accords de paix entre, le MFDC, l’Etat et la société civile dans toutes ses composantes, à Foundiougne en terroir sérère.
– Ce sont ces accords qu’on a dénommé « Foundiougne 1 »,
– Le dossier fut confié lors à l’ex-président du Conseil de République pour les affaires économiques et sociales (Craes) Mbaye Jacques Diop, qui s’est vu décerner pour un très court temps le titre de « Monsieur Casamance » par le chef de l’Etat, Abdoulaye Wade.
– Il avait pour rôle de consolider les acquis nés de ces accords-cadres de Foundiougne I et de créer les conditions des Assises de Foundiougne II qui devraient officiellement se tenir les 27 et 29 décembre 2005. Elles n’auront jamais lieu parce que les combattants du front sud ont demandé le report des Assises de Foundiougne II à une date ultérieure pour se donner le temps de se préparer.
– Mais le mandat de Mbaye Jacques Diop n’aura été que de courte durée, juste le temps d’une visite-éclair à Ziguinchor, ponctuée par des rencontres avec Abdoulaye Diédhiou, héritier de feu Sidy Badji, l’abbé Diamacoune, secrétaire général du MFDC, et Daniel Diatta bras droit de Jean-Marie Biagui.
– Son sort sera d’ailleurs définitivement scellé par l’avènement de Farba Senghor, qui lui succéda dans son rôle de monsieur Casamance par la volonté de Maître Wade.
– Sur le terrain Farba s’appuie sur les « Sages du département de Bignona » qui s’étaient regroupés à Katak, une localité du Fogny Diabang, située dans l’arrondissement de Diouloulou.
– Sous son influence, le président Abdoulaye Wade avait reçu le 17 novembre 2006 au Palais de la République une délégation de ces « sages de la Casamance », conduite par Samsidine Nema Aïdara qui lui promirent de s’engagement pour le retour d’une paix définitive en Casamance.
– Cependant leurs démarches vont très vite se freiner par des événements malheureux : avec l’assassinat le 30 décembre 2006, de El Hadj Oumar Lamine Badji, président du conseil régional de Ziguinchor à son domicile, à Sindian et le rappel à Dieu deux semaines plus tard, le 13 janvier 2007 de l’Abbé Diamacoune Senghor, leader charismatique du MFDC et principal interlocuteur de l’Etat du Sénégal.
– Tenant toujours à jouer son rôle de « démarcheur de la paix », Farba a redynamiser le Comité des sages qui se trouvait dans l’impasse après l’assassinat de son principal animateur, Samsidine Dino Nema Aïdara, chargé de mission du président de la République pour la recherche de la paix en Casamance. ce dernier est à son tour assassiné quelques mois plus tard.
– Il décide avec ce qui reste du Comité des sages de poursuivre le travail entamé avec cette fois ci la collaboration de Moustapha Bassène
– Néanmoins Farba aurait réussi à convaincre plusieurs jeunes combattants à renoncer à la guerre, à quitter le maquis et les aider à ses réintégrer dans la société.
– Après Farba Senghor, la paix pendant une courte période, fut traitée par le colonel à la retraite Nar Ngom en collaboration avec Cheick Pape Mouhamed N’Diaye, marabout de Fatick et Aziz Mbaye correspondant de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) à Ziguinchor.
Le président Macky Sall (2012 à nos jours)
Macky Sall est sans aucun doute le président le plus « chanceux » pour ce qui est de la recherche de la paix en Casamance. En effet c’est sous son règne que le MFDC dans son ensemble s’est dit disposé à négocier. Aussi c’est le premier président qui en plus de tendre la main au MFDC ne s’est pas fait de fixation sur le lieu de négociations. Contrairement à ses prédécesseurs, il a déclaré être prêt à rencontrer et dialoguer avec le MFDC partout où il le souhaiterait.
Dés son avènement, il est constaté une mise à l’écart des messieurs Casamance sur lesquels s’était basé ses prédécesseurs. Mais le phénomène des messieurs Casamance ne s’est pas estompé car le régime de Macky dans la gestion du Processus de paix est marqué par:
– Le retour de Robert Sagna dans la recherche de la paix même s’il refuse de porter le titre de monsieur Casamance
.
– Le repositionnement ou la tentative de repositionnement des femmes à travers la plate forme des femmes pour la Paix en Casamance qui depuis sa création est entrain de réclamer aux hautes autorités son implication directe sur tout ce qui se rapporte au processus de paix en Casamance tout en exigeant sa place à la table de négociations.
– Elles sont rejointes en cela par la coordination des « élus locaux » de la Casamance qui comptent apporter leur pierre dans la recherche de la paix en Casamance.
– Dans cette même lancée l’architecte Pierre Atepa Goudiaby a manifesté son vœu de contribuer à la recherche de la paix en créant le MFVC.
– Il y a entre autres Madame Amsatou Sow Sidibé ministre qui a affirmé haut et fort de « faire de la paix en Casamance son affaire personnelle ».
– enfin il y a le Mouvement pour la paix en Casamance et le groupe de Boubacar Diouf.
– C’est également sous Macky Sall que de façon directe des nations étrangères se sont directement impliquées dans la recherche de la paix en Casamance dont les Etats Unis en premier à travers la nomination d’un conseiller spécial pour la Casamance, la communauté Sant Egidio, l’appui annoncé de l’ambassadeur du Canada et l’arrivée d’un groupe originaire des iles Comores.
– Tous ces acteurs cités sont sur le terrain entrain d’évoluer chacun de son coté. Cependant aucun n’est encore parvenu à un accord probant avec le MFDC.
Quels sont les points communs de ces trois régimes ?
Il existe une certaine constance malgré quelques légères différences dans la façon de gérer le dossier par les trois régimes :
– Abdou Diouf : une succession d’acteurs avec des résultats sans gros impacts sur le processus de paix. Et pour ce qui est des pourparlers avec l’aile combattante, son principal interlocuteur était Kamoughé Diatta alors commandant de la Zone nord ou Diakaye.
– Abdoulaye Wade : une longue liste d’acteurs, sans succès probant. Même ses fameux accords de paix de 2004 n’ont pas eu l’effet escompté. Avec l’aile combattante, son interlocuteur privilégié était César Atoute Badiatte.
– Macky Sall : contrairement à ses prédécesseurs, on note à la fois dans le dossier la présence de nombreux groupes d’acteurs et de facilitateurs nationaux et internationaux dont certains sont de manière consciente ou inconsciente entrain de lui fabriquer son Salif Sadio comme principal interlocuteur.
– Mais le dénominateur commun à tous ces régimes demeure le manque de vision et la détermination d’un réel contenu à donner au processus de paix.
Les Messieurs Casamance
Ce qui est désolant chez ceux qu’on qualifie de messieurs Casamance est que jamais un seul d’entre eux n’a obtenu un succès probant. Certains ont réussi en totalité en partie à convaincre des combattants à déposer les armes, mais jamais ils ne sont parvenus à récupérer des mains de ces dits combattants auto démobilisés la plus petite de leur arme.
Leurs efforts ont fortement contribué à mieux diviser le MFDC surtout en son aile combattante et à faire perdurer la situation de ni paix ; ni guerre qui donne l’impression que sur le terrain la crise est stabilisée et qu’en douce de véritables négociations sont entrain d’être menées. C’est également une autre explication du fait que ce conflit qualifié de nos jours de basse intensité perdure encore en Casamance.
Ces démarches presque semblables avec leurs limites malgré la succession de différents régimes me font dire que depuis 1990, les populations sont entrain de vivre un éternel recommencement des événements et activités en ce qui concerne le processus de paix en Casamance.
René Capain Bassène
Journaliste, observateur de la crise en Casamance
Auteur du 1er livre sur l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor