Nigéria: Crise politique, sécuritaire et économique: un cocktail électoral explosif
Insurrection de Boko Haram hors de contrôle, économie fragilisée, locaux de l’opposition saccagés: les problèmes s’accumulent sur tous les fronts au Nigeria à l’approche des scrutins présidentiel et législatif de février 2015. Pour le militant nigérian des droits de l’homme Clement Nwankwo, la crise politique est très grave: le gouvernement, d’un niveau de corruption sans précédent, a perdu le contrôle de son propre parti et réagit de manière violente, une situation qui rappelle les heures les plus sombres du régime du dictateur Sani Abacha, à la tête d’une junte militaire brutale dans les années 1990.
Sur le plan sécuritaire, la situation semble hors de contrôle dans le nord-est du pays, où le groupe islamiste armé Boko Haram s’est emparé de plus d’une vingtaine de villes depuis le printemps 2014, face à une armée mal équipée, en sous-effectifs, souvent accusée de fuir.
Sur le plan économique, la chute des cours mondiaux du pétrole a fragilisé la première puissance du continent, dont 70% des recettes de l’Etat proviennent de la manne pétrolière. Le pays a dévalué sa monnaie mardi, cherchant à stabiliser le naira après qu’il a atteint un niveau historiquement bas contre le dollar, et alors que ses réserves de devises étrangères ont chuté. Une mesure impopulaire car elle pourrait engendrer une flambée des prix dans un pays où la grande majorité des biens de consommation sont importés.
Dans ce contexte tendu, le Parti Démocratique du Peuple (PDP) du président Goodluck Jonathan et le Congrès Progressiste (APC), coalition de quatre partis d’opposition, n’hésitent plus à faire usage d’une rhétorique guerrière. A la tête du pays le plus peuplé d’Afrique depuis mai 2010, M. Jonathan, un chrétien du Sud âgé de 57 ans, a annoncé récemment sa candidature à sa propre succession, provoquant une crise au sein du PDP. La tradition politique du parti veut qu’il y ait une alternance entre candidats du sud chrétien et du nord musulman. Au pouvoir depuis 1999, le PDP est secoué par une vague de défections de gouverneurs et de députés, dont le président de la chambre des représentants, Aminu Tambuwal, qui ont rejoint les rangs de l’APC, faisant du parti d’opposition une menace sérieuse pour les prochains scrutins. Face à M. Jonathan, deux ex-dirigeants musulmans, originaires du Nord, ont présenté leur candidature aux primaires de l’APC.
Les tensions suscitées par la défection de M. Tambuwal ont atteint leur paroxysme jeudi dernier, quand celui-ci s’est vu refuser l’accès au Parlement par les forces de l’ordre, à coup de gaz lacrymogène. L’APC a aussi dénoncé le saccage de ses bureaux de Lagos, dimanche, par des agents de sécurité agissant apparemment sur l’ordre du gouvernement. Les violences politiques sont récurrentes au Nigeria. Près d’un millier de personnes avaient péri lors de violences après les élections de 2011, pourtant considérées comme les plus régulières depuis la fin des dictatures militaires en 1999. Mais selon un récent rapport de l’International Crisis Group (ICG), les élections générales de février 2015 au Nigeria s’annoncent particulièrement explosives et brutales, au vu du climat politique de plus en plus violent.
La récente sortie d’un gouverneur APC, qui a appelé à tuer tous les cafards politiques, a été accueillie très sévèrement par les Etats-Unis et l’Union européenne, qui ont appelé les acteurs du débat politique nigérian à changer de ton. Pour Clement Nwankwo, le gouvernement doit surveiller les divisions religieuses et ethniques, souvent à l’origine de bains de sang dans un pays divisé entre un Nord musulman et un Sud chrétien. D’autant que la Commission électorale a admis qu’il sera presque impossible d’organiser le scrutin dans les Etats de Borno, Yobe, et l’Adamawa, les trois les plus touchés par l’insurrection islamiste de Boko Haram, qui a fait 13.000 morts depuis 2009. Or un scrutin qui ne se tiendrait pas sur la totalité du territoire (…) risque de ne pas remplir les conditions constitutionnelles requises pour l’élection d’un président, juge l’ICG. Et dans cette atmosphère politique explosive, un résultat contesté pourrait mettre le feu aux poudres, ajoute le rapport.
AFP