Casamance: Contribution-Réponse (3) du Dr. Ahmed Apakena Diémé: Allusions, amalgames et méprises de Monsieur Sène du PIT
5°) Le vaste projet culturel et politique de l’Afrique noire :
C’est une gigantesque tache culturelle et civilisationnelle dont les systèmes éducatifs ont la charge, mais aussi et surtout les philosophes et les artistes, en ce qu’ils sont inventeurs de concepts et de modes de vie (la définition admirable que Gilles Deleuze donne de l’activité philosophique). C’est l’un des défis du Sahel dans les années à venir. La lutte contre le salafisme ne sera pas militaire, mais culturelle et politique.
Sinon, les confréries dont vous vous targuez seront balayées. Si le salafisme est porteur de nouvelle « modernité » politique, ne serait-ce pas tant mieux ? Là j’en appelle au débat qui dépasse nos querelles entre casamançais et Sénégalais. Il faut surtout éviter la réponse sécuritaire face au salafisme, erreur commise par le Nigeria dans le massacre des disciples de Mohamed Yusuf, alors qu’il était possible d’engager contre lui la bataille théorique qui pouvait pourtant trouver sa place dans la Charia déjà existante dans bien des Etats du Nord Nigeria. Avant de liquider Cheikh Jafar son maitre alors qu’il priait dans une mosquée à Kano, Mohamed Yusuf avait engagé la bataille théorique et théologique, avant que les forces de sécurité, par ignorance de la tradition « des sectes » au Nord Nigeria ont brutalement mis fin à sa petite république islamique. Elle s’est réveillée de ses cendres en devenant monstrueux.
Par ailleurs, il est fréquent, dans les milieux intellectuels musulmans, d’entendre dire que ce nouvel islam, Salafiste serait une dénaturation ou un sabotage du vrai. Je crois que la question n’est pas tant de savoir quel est le bon ou mauvais islam, le vrai ou le faux, mais quelle est la fonctionnalité politique, culturelle de l’islam à un moment donné de l’histoire. Selon certaines circonstances, des types de rapports politico religieux entre les peuples, il arrive qu’un des monothéismes joue telle ou telle fonction. Parfois elle peut même être à la fois libératrice, obscurantisme, critique et subversive, bref productrice de modernité. C’est dans le mouvement que réside le nouveau. Mais le nouveau ne s’épure pas des archaïsmes.
J’ai parfois l’impression que, en dépit de ma répugnance face aux actes infâmes et abjects, ne serait-ce que dans la méthode de lutte, le nouvel islam incarné par le Salafisme ou le wahhabisme pacifiste ressemble à bien des égards (et ce serait bien d’envisager, à titre analytique la comparaison) au processus de naissance de la Réforme dans l’histoire du Christianisme. La centralité de Rome et du Pape contre l’individuation du rapport à l’Absolu, la sauvegarde des instances interprétatives hiérarchisées contre leur polymorphie dans le protestantisme, etc.
En tout cas, en Casamance, nous avons toujours développé des modes de vie, des systèmes de tolérance et la conservation des modèles animistes moins conquérants et moins arrogants, pour que cela suffise à bâtir un rempart au Salafisme. C’est dans les systèmes religieux traditionnels qu’on trouve par exemple, l’écologie avant la lettre à travers le concept de bois sacré ; c’est dans ces systèmes que l’on trouve la parité homme femme, signe de modernité, avant la lettre ; c’est dans ces systèmes que l’on trouve les valeurs ethniques sures pour la bonne gouvernance, que l’on trouve le sens aigu de la justice et le secret du développement, à savoir le culte du travail. Il y existe bien d’autres valeurs qui méritent d’être revisiter.
6°) La Casamance de demain pourrait jouer le premier rôle :
Revisiter les systèmes religieux dits traditionnels aiderait à trouver les outils et les ressources, les doctrines et les schémas culturels et politiques pour résister à l’arrogance salafiste. Kwame Nkrumah ne proposait-il pas dans son livre « le Consciencisme », de faire des religions traditionnelles africaines des mécanismes de filtrage des apports religieux venus de l’Orient et de l’Occident ? La perte des civilisations, la domination politique commencent toujours lorsque votre Dieu est défait. C’est peut-être ce qui est arrivé à l’Afrique noire. A quand son aggiornamento spirituel d’abord ?
Nous ne souffrons pas (le Mfdc et ses élites y veillent) de conservatisme confrérique, ni de féodalisme religieux, ni de prosélytisme religieux, source de guerre et de conflit. Mais du modèle confrérico wolof, de l’étouffement politique de notre peuple dans sa lutte pour recouvrer son droit à l’autodétermination.
Nous souffrons des manœuvres diplomatiques du Sénégal auprès des puissances pointées du doigt par votre contribution, afin que celles-ci ne s’engagent pas à fond dans la résolution du problème casamançais. Notre lutte n’est pas une guerre par procuration que nous menons pour la France ni pour les USA ni pour le salafisme mondialisé.
Nos analyses géostratégiques en rapport avec la lutte, nous les faisons et les appliquons en fonction du seul intérêt de notre peuple ; nos alliances sont établies dans le seul but du succès de notre lutte. Celle-ci générera un nouveau modèle politique et économique original dans la sous-région, que bien des frères africains envieront. Ce serait là le génie du Mfdc, s’il sort un peu du militaire pour plus de politique.
Dr. Ahmed Apakena Diémé, Consultant indépendant, Directeur de SASCOM
(Sahel Stratégie Communication), membre du Cercle des Intellectuels et Universitaires du Mfdc. Allemagne