A la suite des affrontements enregistrés au mois d’avril entre l’armée sénégalaise et les combattants de la faction dirigée par César Atoute Badiate, René Capain Bassène, journaliste et observateur de la crise en Casamance livre sa lecture de l’avancement et de la gestion du processus de paix.

Interview exclusive du Journal du Pays.

Monsieur René Capain Bassène, quelle est  votre analyse du niveau d’évolution du processus de paix à la suite du regain de violence noté au courant du mois d’avril  en Casamance ?

C’est toujours le statut quo ! Il n’y a toujours pas d’évolution significative sur ce plan, sinon qu’il est enregistré un certain recul avec  les accrochages notés en avril entre l’armée et les combattants de la faction de César Atoute Badiate qui il faut le préciser avaient déposé les armes depuis 2000 pour négocier avec l’Etat du Sénégal.

Certains acteurs, qualifient pourtant ce que vous appelez accrochages de petits incidents survenus entre l’armée et les combattants du MFDC partagez- vous leurs analyses ?

Je veux simplement savoir comment  peut-on qualifier d’incidents deux affrontements à l’arme lourde, pendant plusieurs heures et en l’espace de quelques  jours, surtout si on sait que l’attaque par les combattants du MFDC du cantonnement d’Emaye survenu à 3 heures du matin a été bien planifiée. Je trouve très malhonnête de vouloir « convertir » ces événements en de simples petits incidents. Il faut qu’on arrête de faire croire à l’opinion que tout va bien alors que sur le terrain l’accalmie est victime d’une  brusque « hypotension »  avec des combattants et militaires qui ont redoublé de vigilance en s’observant en chien de faïence . A mon avis, les acteurs de paix devraient prendre très au sérieux ces événements afin de leur trouver des solutions durables.

Si on vous comprend bien monsieur Bassène, vous semblez contredire les déclarations des acteurs de paix qui invariablement soutiennent qu’il y a des avancées et que des choses sont réellement  entrain d’être négociées en douce en faveur du retour à la paix.

Si tel est le cas, qu’ils nous expliquent alors pourquoi les affrontements entre l’armée et les combattants du  MFDC survenus en mars au  niveau de Djondji dans le Bignona, suivi de celles au niveau du Parc de la basse Casamance et dans le village de Emaye en Avril dans le département d’Oussouye.

Mon problème avec les acteurs de paix, est que certains pour ne pas dire le gros du lot font beaucoup de tapages médiatiques en s’octroyant la paternité d’avancées qu’ils non jamais enregistrées et en masquant subtilement et très adroitement leur inactivité par l’argument d’utopiques négociations à caractère trop discrètes qu’ils seraient entrain de mener auprès des chefs du maquis.

Monsieur Bassène est ce que vous avez les preuves de ce que vous êtes entrain de dire ?

Je tiens à ma crédibilité, je me respecte et je respecte beaucoup ceux qui me lisent, jamais je ne m’aventurerai à raconter du faux sur des gens, c’est être intellectuellement malhonnête. Je vais de façon rapide vous citer quelques faits parmi tant d’autres :

–          Le premier remonte à la libération des militaires pris en otages par Salif Sadio,à cette occasion,la communauté Sant’Egidio avait occupé les médias à travers des déclarations tendant à faire croire à l’opinion qu’elle a été à la fois l’initiatrice et le principal acteur à la base de cette opération de libération des otages. Plus étonnant, ils se sont débrouillés pour partager le même avion qui conduisait les otages vers Dakar et ont tout fait pour jouer face aux médias le rôle de restitution des militaires au président Macky Sall. Alors qu’en réalité cette libération a été l’œuvre du président Yaya Jammeh et surtout du Ministre Robert Sagna qui pendant plusieurs mois étaient entrés en contact avec  Salif Sadio. Ces « héros » ont vu leur succès complètement phagocytés par la communauté Sant’Egidio qui aux yeux de l’opinion paraîssait comme l’acteur qui a mené les négociations de bout à bout. Il a fallut attendre jusqu’à ce que le ministre Robert Sagna qui faisait partie de la délégation envoyée par le président Macky Sall en Gambie pour transmettre ses remerciements rectifie les choses.

–          Le second fait remonte à la libération des démineurs pris en otage par César Atoute Badiate. ainsi à quelques jours de leur libération, on a enregistré des déclarations provenant de partout et dans lesquelles chaque acteur tentait de faire croire à l’opinion qu’il y a joué un rôle capital : je me souviens des communiqués de presse de la ministre Amsatou Sow Sidibé qui remerciait César Atoute Badiate de l’avoir écouté alors qu’elle ne l’avait jamais rencontré, ni envoyé un émissaire auprès de lui, des femmes de la plateforme, qui au jour de la libération ont tenu à faire le déplacement jusqu’en Guinée Bissau et ce jour là, elles ont fait des déclarations à travers les médias dont le contenu donnait l’impression qu’elles ont été déterminantes dans le processus de libération des otages alors que jamais elles n’avaient rencontré César Atoute Badiate. Elles s’étaient juste limitées à organiser des marches à travers les rues de Ziguinchor et à produire des communiqués qui ne sont jamais arrivés dans le maquis.  Alors que, tout comme pour les militaires, la libération des démineurs a été négociée par le ministre Robert Sagna appuyé par « Mon kou Mon » une ONG bissau guinéenne. Ainsi pour une deuxième fois son succès a été médiatiquement étouffé par d’autres acteurs soucieux de paraître efficaces et crédibles aux yeux de l’opinion, des autorités et des bailleurs.

–          Le troisième fait est que de tout le « bataillon »  d’acteurs de paix en Casamance, seul Robert Sagna connait réellement les différents cantonnements et positions du maquis. Les autres hormis le Comorien Ahmed Abass Saed qui est en contact avec quelques combattants de Compass et de Lamarana à l’occasion des séminaires  de formation en négociation qu’il organise à Sao Domingo, n’ont jamais eu un quelconque contact physique avec les combattants. Mis à part le journaliste Ibrahima Gassama, tous ceux qui aujourd’hui se targuent d’avoir une fois rencontrés des combattants dans le maquis ont eu cette opportunité grâce à Robert Sagna qui a eu à les copter dans sa délégation lors de ses différentes missions dans le maquis.

Quand j’entends par exemple la présidente du mouvement « M3K », madame Tendeng déclarer  sereinement en public qu’elle rencontre Salif Sadio et qu’elle travaille avec lui, je me demande pourquoi de telles fausses allégations. Dieu sait et elle aussi le sait très bien que jamais, elle n’a rencontré Salif Sadio ni aucun autre chef du maquis.

Enfin un dernier exemple de contre vérité de la part des messieurs Casamance, c’est l’arnaque faites par certains acteurs à des jeunes garçons recrutés dans le Fogny et le Blouf  à qui ils ont promis du travail à Dakar à condition qu’ils acceptent de voyager sans leurs téléphones portables, sans valises et sans cartes d’identité nationale. Une fois à Dakar, ils ont été présentés comme des combattants auto démobilisés qu’il fallait déporter hors de la Casamance pour les mettre en sécurité. Mais comme c’est une mauvaise pratique, ce « succés » n’a pas eu de parrain bien qu’il ait été médiatisé par certains organes de presse nationaux.

C’est pour dire encore une fois qu’il y a plus de bruit que  d’actions concrètes et efficaces de la plus part des acteurs dans leur mission de recherche de la paix.  A défaut de pouvoir établir un contact direct avec le MFDC, le gros des acteurs a misé sur la communication événementielle à travers l’organisation de marches, de prières, la production de films et de communiqués ainsi que la tenue de très beaux discours sans impacts sur la recherche de la paix, mais qui paradoxalement  sont fortement relayés par la presse, donnant ainsi l’impression qu’ils sont entrain d’abattre un excellent travail en faveur de la paix.

 Qu’est ce qui selon vous constituent les facteurs bloquant du retour  à la paix en Casamance ?

Ils sont nombreux et certains assez complexes, mais pas impossibles à résoudre. Entre autres, il y a la division du MFDC en plusieurs factions politiques et militaires. Mais à niveau, les choses sont entrain d’évoluer avec l’unité autour de l’essentielle notée entre les factions de César, Compass et Lamarana. Seul Salif Sadio est encore entrain de faire cavalier seul en rejetant pour le moment toute idée de retrouvailles avec ses frères.

Pourquoi ?

C’est une longue histoire qui porte sur la vie et l’évolution de Attika et qui ne saura être expliquée et contenir dans une interview. Je propose que nous nous limitions aux faits que je suis entrain de citer.

On dit que Salif Sadio est entrain de chercher à s’unir avec Gnantang , c’est bien cela ?

Rire- vous connaissez où se trouve Gnantang ? Il n’est plus dans le maquis depuis 2012. Son ancienne faction est dirigée de nos jours par Ibrahima Compass Diatta auprés de qui il n’a aucune influence aussi bien directe qu’indirecte. Gnantang n’a pas d’éléments sous ses ordres et d’aucuns le considèrent comme traitre. Si on sait qu’une des raisons de rejet des autres factions par Salif Sadio est qu’il ne les considère pas comme de vrais combattants pour l’indépendance de la Casamance parce qu’il les traîte de corrompus du fait qu’ils  ont déposé les armes depuis 2000; je le vois mal entrer en contact avec Gnantang qui est hors de la Casamance et du « circuit » du MFDC.

Je poursuis mon intervention sur les facteurs bloquants en citant également, l’anarchie notée au niveau des acteurs de paix. Ils évoluent dans la concurrence, avec chacun son programme et ses messages. Cela a des conséquences lourdes sur le processus d’unification du MFDC.

Enfin, je considère comme un gros frein, la déclaration du président de la république qui s’est dit être prêt à négocier partout et en tous lieux du retour de la paix en Casamance avec la seule condition que le MFDC mette de coté sa revendication indépendantiste.  Je vois mal comment on peut demander à un mouvement de libération qui est entrain de lutter depuis 32 ans de ne pas se présenter à la table de négociation avec sa revendication d’indépendance. Ce sont des griefs qui au fur du processus de  négociations pourraient disparaître au profit d’autres alternatives.

Quelles seraient selon vous la ou les solutions de sortie de crise  en Casamance ?

Il n’y a pas de solutions miracles comme je ne cesse de le répéter. Dieu merci, il y a déjà des dispositions d’ouverture au dialogue de la part des belligérants ; c’est un grand atout. Il appartient aux acteurs de paix de jouer le rôle de facilitateurs. Pour se faire, ils doivent  s’unir,  mutualiser leurs moyens, harmoniser leurs plans d’actions, aller à la rencontre du MFDC  et de l’Etat pour dégager de manière concertée un contenu et une feuille de route à donner au processus de paix.

Il n’y aura-t-il pas un problème de leadership entre ces acteurs de paix au vu de tout ce que vous avez dit plus haut ?

A mon avis, il ne peut pas se poser un problème de leadership. De tous ces acteurs,Le Ministre Robert Sagna est le plus ancien car il est dans ce dossier depuis le début de la crise ; il connaît mieux le MFDC et sa philosophie, il connaît tout ce qui a été fait depuis Abdou Diouf jusqu’à Macky Sall.

Aussi le fait qu’il soit natif et originaire de la Casamance lui donne certains avantages.

Lesquels ?

Le conflit casamançais comporte des aspects typiquement cultuels et culturels copiés dans la structuration et le fonctionnement de la société casamançaise et diola en particulier. Ainsi en tant que diola et initié, il a l’avantage face aux autres de pouvoir accéder à certains lieux, de pouvoir connaître certains secrets et de pouvoir et savoir comment gérer certains problèmes.

Il connaît non seulement les réalités de la Casamance mais maîtrise mieux le conflit casamançais que l’Amiral Farba Sarr , Ahmed Abass Saed ,la communauté Sant Egidio ainsi que tous les autres acteurs. Je suis convaincu qu’une unité autour de sa personne pourrait faire démarrer le processus de paix en Casamance.

Le président de la république a déjà choisi l’Amiral Farba Sarr, comment appréciez- vous ce choix ?

Je n’ai rien contre l’Amiral Farba Sarr, mais je crois avoir dit et répéter que le conflit comporte des aspects purement culturels et cultuels, cela pourra l’handicaper lourdement dans son travail. Le placer en tête du dossier casamançais peut constituer un blocage, surtout que par ailleurs, il coordonne la Direction Générale des Renseignements Nationaux . Cela peut également engendrer un climat de suspicion et de méfiance entre le MFDC et son équipe de négociateurs.  Voici pourquoi, je dis que monsieur Robert Sagna pourrait coordonner les activités de recherches de la paix en Casamance, vu sa grande expérience et tout ce que j’ai cité ci-dessus.

Et les femmes où est ce que vous les situez dans tout cela ?

Les femmes ont un rôle à jouer, mais vu le fait que le conflit casamançais comporte de fortes connotations culturelles et surtout cultuelles, elles sont assez limitées malgré leur bonne volonté de contribuer directement dans la recherche de la paix. C’est aussi cela une des spécificités du conflit casamançais, son aspect  traditionnel, culturel et cultuel. C’est une guerre où le rôle des hommes et des femmes sont bien définis. Que chacun donc joue son rôle. Je m’en tiens là. Nous pourrons y revenir ultérieurement si cela vous dit.

Réalisée par Abdou Rahmane Diallo