Casamance: René Capain Bassène se prononce sur l’héritage de l’Abbé Diamacoune huit ans après sa mort
A l’occasion de la célébration du huitième anniversaire du rappel à Dieu de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor Secrétaire général du MFDC, René Capain Bassène se prononce sur ce qui reste de son héritage.
René Capain Bassène ; vous êtes de nos jours le seul auteur d’un ouvrage sur le personnage controversé de l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor ; pouvez- vous nous dire ce qui reste de son héritage huit ans après son rappel à Dieu ?
La première chose qui reste de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor est sa notoriété. En effet, huit ans après sa mort, celui qui était communément qualifié de « prélat rebelle », jouit toujours d’une immense réputation. Son nom revient toujours dans toutes les discussions et cela à tous les niveaux lorsqu’il s’agit du conflit casamançais auquel son personnage demeure encore étroitement lié. Et cela a fait de lui une « légende » si je peux m’exprimer ainsi pour tout ce qui est relatif au conflit en Casamance.
Du point de vue héritage, le lègue de l’abbé Diamacoune au Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance est essentiellement abstrait et repose pratiquement sur des idées et des valeurs à perpétuer pour assurer une bonne continuation de la lutte pour l’indépendance, mais également sur des attitudes à adopter pour favoriser une certaine cohésion et harmonie d’actions entre les différentes composantes de la rébellion à savoir les ailes politiques intérieures et extérieures et Atika l’aile combattante afin de lui octroyer une certaine crédibilité aux yeux de l’opinion.
A ce niveau, le MFDC à mon avis a choisi les aspects les plus faciles à vivre et a rejeté ceux qui me paraissent les plus importants pour sa cohésion, son unité et sa crédibilité.
Pouvez- vous être un peu plus clair dans votre explication monsieur Basséne ?
– Par aspects faciles, je veux faire allusion à son engagement et à son combat politique :Diamacoune a réclamé : l’ « indépendance immédiate de la Casamance qui n’a jamais été partie intégrante du Sénégal ». Sur ce point le MFDC a entièrement épousé ses idées et ses discours séparatistes. En effet, le mouvement est entrain depuis trente deux ans de perpétuer cet aspect de son combat pour la séparation de la Casamance d’avec le reste du Sénégal, qui demeure une position que l’abbé a toujours et partout soutenue et défendue jusqu’à sa mort.
– Par aspects qui me paraissent les plus importants et que le MFDC a rejeté, je veux parler de sa morale, sa philosophie et surtout de son éthique et des principes qu’il avait adopté durant son existence. Sur ce plan le MFDC n’a absolument rien retenu ou copié de l’Abbé Diamacoune qui au cours de son séjour sur terre avait réussi à vivre pleinement son statut de prêtre catholique, tout en demeurant un homme foncièrement encré dans la pure tradition diola et casamançaise de façon générale. Il avait une éthique et une philosophie de vie assez bien singulière.
Malgré qu’il soit celui qui a incarné la rébellion pendant presque 25 ans ; l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, celui dont les écrits et discours nationalistes ont donné corps aux principaux fondements de la revendication du MFDC à l’endroit de l’Etat sénégalais, ne s’était jamais auto proclamé Chef de la rébellion. Il ne s’est jamais prononcé en ce sens et tenait à ce propos un discours invariable : « chez nous en milieu traditionnel, le pouvoir ne s’arrache pas, il se donne. C’est au peuple de choisir librement son chef au moment venu et souvent certains individus se voyaient contraints à l’exil pour échapper à certains postes de haute responsabilité.»
Diamacoune a été choisi et nommé au poste de secrétaire général du MFDC en 1991
Cela aurait pu servir de source d’inspiration et de code de conduite au MFDC.
Hélas, bien avant sa mort on a assisté au sein du MFDC et particulièrement en son aile combattante à des querelles de leadership avec d’abord la rivalité Sidy Badji –Léopold Sagna, puis celle Léopold Sagna-Salif Sadio enfin celle entre Salif Sadio et César Atoute Badiate qui a fini par totalement émietter le maquis.
Toutes ces divergences citées ont pour commune raison un tiraillement entre combattants pour l’occupation du poste de Chef d’Etat Major Général du maquis.
Ce même comportement est également noté au niveau de l’aile politique où certains leaders de groupes se querellent pour le poste de Secrétaire Général du mouvement avec entre autre l’auto proclamation de Nkrumah Sané qui s’est heurtée face au refus de certains membres de l’aile politique basés en Europe et qui comme lui manifestent cette volonté de devenir Secrétaire Général du Mouvement en remplacement de l’Abbé Diamacoune rappelé à Dieu dans la nuit du 13 au 14 janvier 2007.
D’ailleurs les tiraillements pour sa succession avaient débuté bien avant sa mort avec la rivalité Alexandre Djiba- Jean Marie François Biagui, puis Jean Marie François Biagui- Ansoumana Badji.
Qu’elles sont alors les conséquences au niveau du MFDC de ce « refus » de vivre ce que vous qualifier vous monsieur Capain des principes, de la philosophie et de l’éthique de vie de l’abbé ?
Elles sont nombreuses, immenses et déplorables. Aujourd’hui le MFDC est un mouvement divisé dans toutes ces composantes politiques et surtout militaires.
– En réalité les querelles de leadership ont depuis ses débuts minés la cohésion au sein d’Atika. Elles avaient fini par engendrer au niveau du maquis une horrible guerre qui a opposé de 2000 à 2006 les combattants favorables à Salif Sadio à ceux fidèles à César Atoute Badiate pour le poste de Chef d’Etat major d’Atika. Cette guerre a entrainé un déchirement total de l’aile combattante avec des frères ennemis difficilement réconciliables.
– Au niveau de l’aile politique, il y a le fait que Nkrumah Sané qui sur la base de son statut d’un des précurseurs de la marche du 26 Décembre 1982 et d’une certaine légitimité historique dont il revendique s’est autoproclamé Secrétaire générale du MFDC. Il est cependant farouchement contesté par la jeune génération incarnée par Ousmane Tamba et Apakéna hostiles à toute tentative d’accaparement de ce poste par auto nomination. Cette opposition de points de vus a engendré une certaine mésentente entre responsables du mouvement à l’extérieur.
– Au-delà du non respect de ses principes et de son éthique de vie, le MFDC n’a pas pris en considération un des principaux conseils de l’abbé Diamacoune. En effet, le prélat leur répétait invariablement cette phrase sous forme d’alerte : « prenez garde car le Sénégal ne parviendra jamais militairement à bout du MFDC par les armes ; cependant, il se servira de l’argent et de la ruse pour semer la discorde et la haine, entre vous. Faites attention et restez vigilants ».
Malheureusement il n’a pas été écouté et de nos jours on voit des chefs rebelles se quereller et se traiter de tous les noms d’oiseaux à l’exemple de Salif Sadio qui dans une interview radiodiffusée en avril 2014 a accusé la faction de César de corrompu, tout comme c’était le cas dans les années 1990 quand le reste du maquis disait que les combattants de Diakayes étaient des combattants d’Abdou Diouf parce que corrompus. Enfin c’est des accusions de corruption à l’endroit de César qui ont engendrées la création du camp de Aquintha aujourd’hui dirigé par Ibrahima Compass Diatta.
– Aussi, le constat est unanime que huit ans après la mort de l’Abbé, le processus de paix déclenché de son vivant s’est retrouvé complètement bloqué par l’absence d’un interlocuteur crédible pouvant parler et négocier avec l’Etat au nom du MFDC ; ce mouvement qui comporte de nos jours plusieurs généraux chefs d’état major et qui se trouve dans l’impossibilité de se trouver un secrétaire général.
– La principale conséquence de ces déchirements est que nous sommes aujourd’hui en face d’une situation très délicate qui rend difficile la relance du processus de négociations, mais qui parallèlement fait le bonheur des « colporteurs de paix ». L’occasion faisant le larron, les messieurs Casamance ou autres facilitateurs pour mieux gagner leur vie n’hésitent pas à développer des stratégies tendant à renforcer les dissensions intra MFDC afin de mieux faire perdurer le climat de ni paix ni guerre. Atmosphère très propice pour faire proroger indéfiniment leurs mandats et leurs activités de « recherche sans succès » de paix en Casamance.
– Des échecs qu’ils refusent d’admettre et qu’ils justifient invariablement par la dislocation du MFDC, alors que pour la plupart quand ils s’engageaient comme négociateurs cet état de fait existait déjà .A mon avis contribuer à aider à unir le MFDC devrait être leur mission première. Dommage qu’au lieu de travailler à l’unité, ils ont renforcé les divisions du MFDC en se partageant tel un gâteau le maquis avec chacun son cantonnement et ses combattants sur lesquels il veille au grain…tout en ignorant royalement les factions politiques.
Avec un tel cas de figure où c’est ceux qui sont censés aider au retour de la paix qui se sont mus en diviseurs, comment allons-nous parvenir à une paix en Casamance ?
Monsieur Bassène, qu’elles solutions préconisez- vous pour parer à tous ces cas figures que vous avez évoqués afin de pouvoir arriver à relancer le processus de dialogue entre les autorités du Sénégal et le MFDC ?
Je ne détiens pas la portion magique du retour de la paix en Casamance. Mais j’avoue d’emblée que je ne partage pas l’idée d’entreprendre des négociations parcellaires. Je suis contre le principe de « négocier avec celui ou la faction qui le désire » pour ne pas dire « négocier avec la faction de son choix ». Les acteurs de paix doivent avoir une stratégie qui leur permette de négocier à la fois avec toutes les sensibilités du MFDC pour arriver à harmoniser toutes les positions en prélude des négociations. C’est ce qui est attendu d’eux en leur qualité de spécialistes expérimentés en recherche de paix comme ils se le réclament. Pour ma part, je vais très humblement essayer de proposer quelques pistes de sortie de crise. Il s’agira :
Pour le MFDC :
1- De perpétuer l’éthique de vie de l’abbé Diamacoune et d’appliquer ses conseils.
2- De taire ses querelles de leadership et d’aller vers des retrouvailles générales sous forme d’assises regroupant toutes ses factions politiques et militaires avec pour objectif :
– d’arriver à relancer, à restructurer et à renouveler démocratiquement les instances du mouvement.
– de mettre sur pied un organe dirigeant démocratiquement élu, reconnu par tous et dont les fonctions des uns et des autres seront bien précises et clairement définis.
3- Cela aura entre autre conséquences positives :
– de mettre fin aux dissensions inter-MFDC.
– de rendre plus crédible le mouvement au niveau national et international.
– de permettre au mouvement d’avoir une instance qui pourra en son nom dialoguer avec le Sénégal.
Pour les autorités sénégalaises :
1- De prendre une décision et un engagement politique sincère d’aller vers les négociations en posant un certain nombre d’actes tels que :
– Prendre à bras le corps la problématique du retour de la paix en Casamance.
– Arrêter de confier la recherche de la paix à des individus, groupes d’individus, ONG ou autres communautés nationales et internationales.
– mettre fin à la multiplicité des messieurs Casamance ou autre facilitateurs.
– mettre en place un organe spécifique chargé de négocier avec le MFDC.
– accepter que le MFDC se présente à la table de négociations avec toutes ses revendications…
2- Cela aura pour effets positifs :
– De mettre fin à la rivalité entre monsieur Casamance
– De permettre à l’Etat d’avoir un seul groupe de médiateurs autorisé à dialoguer en son nom avec le MFDC.
Votre dernier mot sur l’héritage de l’abbé Diamacoune ?
Les facteurs bloquant du processus de paix en Casamance se situent aussi bien du coté du MFDC que de l’Etat. Les responsabilités sont partagées. Mais par ignorance,
Beaucoup avait jubilé à l’annonce du rappel à Dieu de l’Abbé Diamacoune parce que le considérant comme principal facteur bloquant au retour de la paix à cause de ses positions controversées et surtout du fait qu’il n’hésitait pas à remettre en cause certains accords de paix ou de cessez le feu… Huit ans après sa mort, il n’est notée aucune évolution sinon que la situation s’est empirée d’avantage avec :
– un MFDC divisé et qui ne parvient toujours pas à se trouver un Secrétaire général et
– un Etat du Sénégal qui de son coté peine à pouvoir se définir une vision et à donner un contenu au processus de paix, malgré le fait que le MFDC se soit déclaré favorable au Dialogue.
C’était mes modestes réponses à votre interview. Je termine par formuler des prières pour le repos de l’âme de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor afin que la terre de Brin lui soit légère et que le Tout Puissant le reçoive dans son paradis où il lui sera accordé le repos sans fin.
Interview réalisée exclusivement pour le Journal du Pays par Abdou Rahmane Diallo
Fouladou2
Capain rend service mais pas au bout de la réflexion ! Pour stopper la descente aux enfers de la branche politique du Mfdc, une action citoyenne serait à encourager pour réunir Tamba, Sané, Elinkine, Diémé. Je pense que c’est important.
Uliwo
La contribution de RCB est assez explicite, mais à mon avis il y a un débat qui devrait s’installer autour de l’héritage de Diamacoune. Chacun se réclame de Diamacoune par ci par là. Mais certains événements ne sont pas de l’héritage de Diamacoune. La réddition de Sidy Badji et la formation de Diakaye par le Sénégal, la création du Celic en France, la nomination de JM Biagui à Banjul, le coup d’état fomenté contre la Gambie par Alexandre Djiba en collaboration avec Diakaye, les coups de folie de tueuries de Diakaye contre les populations, les assassinats des jeunes à Diagnon, les auto proclamations de Secrétaires généraux ne sont ne sont pas de l’héritage de Diamacoune mais du complot sénégalais contre la Casamance. Voila comment je vois les choses ! Vive les héritiers dignes de Diamacoune et vive la Casamance libre