Catalogne: le mode d’emploi pour l’élection vers l’indépendance
Les Catalans votent ce dimanche pour renouveler leur parlement régional. Un vote qui portera sur la question de l’indépendance. Guide pratique pour en comprendre les enjeux.
Pourquoi ces élections sont-elles importantes ?
La dissolution du parlement catalan a été décidée par le président du gouvernement régional, Artur Mas. Dans son esprit, ces élections régionales sont un substitut au référendum sur l’indépendance qui n’a pas été reconnu légal par le Tribunal Constitutionnel espagnol. Le 9 novembre 2014 s’est donc tenu un scrutin référendaire organisé par les indépendantistes et n’ayant aucune valeur légale. Artur Mas a alors cherché à créer des élections « plébiscitaires » en « orientant » la campagne régionale autour de la seule question de l’indépendance afin de « remplacer » un vrai référendum. Son idée est d’obtenir un mandat populaire pour engager un processus de séparation avec l’Espagne qui devra in fine être validée par un référendum.
Comment ces élections sont-elles devenues « plébiscitaires » ?
Dès janvier, Artur Mas a annoncé son intention de lancer un processus électoral « plébiscitaire. » En avril, il s’est mis d’accord avec plusieurs leaders indépendantistes autour d’une « feuille de route » prévoyant un processus de séparation de l’Espagne en 18 mois. En juin, Artur Mas a fait éclater sa propre coalition, la CiU, formation dominante historiquement en Catalogne. En juin, il a contraint l’Unió, démocrate-chrétienne, qui formait la CiU à choisir entre un positionnement pro-indépendance et l’alliance avec son parti, la CDC. L’Unió a finalement choisi de quitter la CiU qui a éclaté, clarifiant le paysage politique catalan.
Dès lors, le paysage politique catalan s’est organisé autour de la question de l’indépendance. Ceci a été encore renforcé par la création en juillet d’une liste « indépendantiste » baptisée « Junts pel Sí » (« Ensemble pour le oui ») qui regroupe la CDC, de centre-droit, et la gauche républicaine (ERC) ainsi que des personnalités indépendantistes de la société civile. Dès lors que cette liste qui transcende les positions politiques traditionnelles a été lancée, la campagne a tourné autour de la question indépendantiste, malgré les efforts de certains partis de s’en libérer (par exemple l’union de la gauche unioniste et de Podemos).
Comment en est-on arrivé à ce point de rupture ?
Longtemps, la Catalogne a été favorable à une autonomie forte au sein de l’Espagne. Les indépendantistes ne dépassaient pas 15 % des voix. La rupture a eu lieu en 2010 lorsqu’un nouveau statut de la région, adopté en 2006 par les Catalans et le parlement espagnol, a été censuré par le Tribunal Constitutionnel espagnol. L’indépendantisme a alors beaucoup gagné de terrain dans l’opinion, attisé par la crise économique et l’austérité. L’indépendance a été pour beaucoup de Catalan un moyen de garantir l’Etat-providence (et c’est aussi pour cela que les mouvements indépendantistes sont souvent marqués à gauche). Mais la position très ferme sur cette question du gouvernement de Madrid a aussi alimenté le mouvement. L’indépendantisme est aussi une réponse au centralisme espagnol et, souvent, à ses menaces. Celles lancées ces derniers pourraient avoir un effet positif sur le score des Indépendantistes.
Quels sont les partis en lice ?
Outre Junts pel Sí, le camp indépendantiste comporte une autre liste, la Candidature d’Unité Populaire (CUP), un parti d’extrême-gauche opposé à l’euro et à l’UE et farouchement indépendantiste. La CUP dispose de sa propre feuille de route, beaucoup plus radicale que celle de Junts pel Sí, mais a fait savoir qu’elle pouvait apporter son appui à un processus indépendantiste mené par cette dernière liste. La CUP devrait être l’arbitre de ce scrutin, étant indispensable à la constitution d’une majorité favorable à l’indépendance au parlement.
Dans le camp unioniste, les listes sont beaucoup plus nombreuses. Outre les deux listes représentant les grands partis « nationaux » espagnols (le PSC, antenne du parti socialiste espagnol et le PP du premier ministre espagnol Mariano Rajoy), on trouve trois autres listes : Unió, l’alliance de Podemos et de la gauche traditionnelle dans la liste « Catalunya Sí que es Pot !» (Catalogne, oui on peut !) et les centristes anti-indépendantistes de Ciudadanos (« Citoyens »).
Comment vote-t-on ?
Le scrutin se déroule dans quatre circonscriptions de taille très différentes (Lleida, Girone, Barcelone, Tarragone). La circonscription de Barcelone envoie à elle seule 85 des 135 députés. Dans chaque province, les sièges sont attribués à des listes fermées à la proportionnelle selon la règle de D’Hondt. Cette règle favorise le parti arrivé en tête, ce qui peut faire apparaître des distorsions entre le vote populaire et la répartition en sièges en faveur des grandes listes. Il faut disposer d’au moins 3 % des suffrages exprimés dans une province, en comptant les votes blancs pour participer au parlement. Ce dimanche, entre 9 et 11 listes se présentent.
Une majorité indépendantiste est-elle possible ?
Les dernières enquêtes d’opinion donnent toutes une majorité absolue de sièges aux deux listes indépendantistes. En revanche, une autre majorité, celle des voix, sera suivie de près. En effet, dans une élection « plébiscitaire » pour l’indépendance, la majorité parlementaire devrait pouvoir s’appuyer sur une majorité des électeurs pour lancer le processus de sécession. C’est la logique « référendaire » de l’élection. La question principale de l’élection de dimanche sera donc celle de la « double majorité. » Néanmoins, il est possible que, même sans cette majorité des voix, la majorité parlementaire tente d’appliquer leur programme et, donc, la feuille de route de Junts pel Sí. Tout dépendra de l’ampleur du vote indépendantiste. De ce point de vue, les sondages sont assez contradictoires : certains accordent une majorité des voix aux Indépendantistes, d’autres ne leur prédisent que 45 à 46 % des voix. Un élément clé du résultat du scrutin de dimanche sera la réaction des électeurs aux différentes menaces émises par le gouvernement espagnol, la banque d’Espagne ou la Commission européenne. Si la peur l’emporte, les indépendantistes pourraient reculer. Si ces menaces induisent une réaction de résistance et de défi, elles peuvent donner la double majorité aux indépendantistes.
Peut-on avoir une déclaration d’indépendance rapide après le scrutin ?
Non. Cette déclaration unilatérale est réclamée par la seule CUP, mais elle ne devrait pas imposer ce choix à un gouvernement indépendantiste dans un premier temps. La liste Junts pel Sí propose un processus plus progressif, avec une déclaration de souveraineté envoyé au roi d’Espagne pour l’informer du lancement d’un processus de séparation, puis la création de structures étatiques. Des mesures sociales importantes sont notamment prévues d’emblée. Au bout de 6 à 8 mois, la feuille de route prévoit un transfert des compétences dévolues aujourd’hui à l’Espagne vers les structures catalanes créées.
Parallèlement, la liste entend engager des négociations avec l’UE et l’Espagne sur les modalités du divorce : répartition de la dette espagnole, question de nationalité, présence catalane dans les institutions européennes, politique étrangère. En fonction des résultats des indépendantistes en voix et en sièges, ce processus peut être plus ou moins rapide. Il devrait néanmoins déboucher au bout de 18 mois sur un référendum puis sur une déclaration d’indépendance.
En cas d’échec électoral des indépendantistes – mais il est difficile de définir cet échec – il faudra alors recomposer le paysage politique. Junts pel Sí pourra-t-elle gouverner malgré sa diversité interne ? Et avec qui ? Pourra-t-elle mener un gouvernement dans le cadre espagnol en renonçant à son rêve indépendantiste ? Une défaite des indépendantistes ouvrirait aussi la voie à une période difficile pour la Catalogne.
Quelle sera la réaction de Madrid ?
Le gouvernement de Mariano Rajoy est profondément opposé à l’indépendance et il fera sans doute tout ce qui est possible pour l’empêcher. Le président du gouvernement espagnol n’a eu de cesse de proclamer que la « Catalogne ne sera pas indépendante. » Il dispose d’armes juridiques fortes. Le Tribunal Constitutionnel a récemment indiqué qu’il pouvait destituer des fonctionnaires qui accepteraient d’être versés dans des entités « catalanes. » Une plainte est en cours contre Artur Mas pour l’organisation du référendum du 9 novembre. Par ailleurs, si un nouveau gouvernement catalan engage le processus d’indépendance, il peut recourir à l’article 155 de la Constitution qui autorise Madrid à « forcer » un gouvernement régional à respecter la constitution. Le problème, c’est qu’on ignore comment le gouvernement pourra « forcer » Barcelone.
Les élections espagnoles peuvent-elles changer la donne ?
Certains espèrent que le scrutin du 20 décembre en Espagne pourrait amener une majorité plus « raisonnable » à Madrid. C’est peu probable. Si le PP de Mariano Rajoy n’a plus la puissance de 2011, il devrait rester le premier parti du pays. Ses alliés potentiels sont au nombre de deux : Ciudadanos et le PSOE, le parti socialiste. Les deux sont farouchement unionistes. Le premier est issu du mouvement anti-indépendantiste catalan et le second est très attaché à la solidarité interrégionale. Si une alliance PSOE-Podemos, pourrait être plus « fédéraliste », elle est peu probable aujourd’hui. Le bras de fer est donc assuré en cas de majorité indépendantistes, d’autant que le PP aura à cœur de se montrer le « champion de l’unité espagnole. » Les deux agendas, catalans et espagnols, risquent donc de se télescoper.
Quelle est la position de l’Europe ?
Les Indépendantistes comptent beaucoup sur une médiation européenne. Mais, pour le moment, les institutions européennes espèrent surtout que l’indépendance n’arrivera pas. Ce serait en effet un casse-tête juridique majeur, sans compter que l’Espagne est membre à part entière de l’UE et peut donc toujours affirmer qu’il s’agit d’une affaire intérieure stricte. Rien, en tout cas, n’est prévu en cas d’indépendance de la Catalogne. La position officielle de la Commission reste cependant que, s’il y a séparation, la Catalogne sera de facto exclue de l’UE et devra demander son adhésion. Dans ce cas, elle sera aussi exclue de la zone euro, même si elle pourra toujours, comme le Kosovo ou le Monténégro, continuer à utiliser l’euro comme monnaie. Dans tous les cas, ce processus d’exclusion-réinsertion poserait de graves problèmes juridiques et économiques. Il pourrait aussi radicaliser le mouvement indépendantiste. La CUP – qui sera indispensable pour former une majorité au parlement – demandera alors certainement une déclaration unilatérale d’indépendance et revendiquera la sortie de l’UE et de l’euro.
L’indépendance de la Catalogne serait-elle une catastrophe économique ?
Comme toujours face à l’inconnu, les études se multiplient et se contredisent en fonction des positions de leurs auteurs. Ce qui est évident, c’est qu’un processus de séparation ne sera pas entièrement neutre. Mais tout dépend de la façon dont se fera l’indépendance. La Catalogne et l’Espagne sont très dépendants l’un de l’autre économiquement. Si le processus de séparation est négocié au sein de l’UE et qu’il n’y a aucune rupture juridique ou économique en Catalogne, cette région pourrait réussir la transition.
Du côté espagnol, deux questions seront déterminantes : les transferts de la Catalogne vers le reste de l’Espagne et la répartition de la dette publique. Les Catalans veulent négocier moins de transferts budgétaires, mais on peut imaginer que les négociations débouchent sur une « période transitoire » avec des transferts se réduisant progressivement.
Sur la dette, la question de la clé de répartition risque d’être un important point de discorde, notamment en raison de l’importance de la dette publique espagnole. Il conviendra de prendre en compte « l’appauvrissement » de l’Etat espagnol amputé de la Catalogne pour lui permettre de disposer d’une dette soutenable. Ceci permettra peut-être de poser au niveau européen le problème de la soutenabilité des dettes publiques grossies par les cures d’austérité. Comme l’Espagne sera évidemment affaiblie par cette indépendance, notamment sur le plan budgétaire, l’UE devra sans doute réfléchir à un soutien à ce pays pour lui permettre de passer le cap. Le modèle pourrait être la séparation de la Tchécoslovaquie peut servir de modèle, avec une situation ici plus simple (la monnaie est la même, notamment).
Si, en revanche, l’indépendance se fait unilatéralement et dans le chaos, les conséquences pourraient être redoutables pour toute l’Europe compte tenu des perturbations dans les échanges commerciaux et dans le système monétaire et bancaire, notamment. Si les Catalans refusent de prendre une partie de la dette en raison d’un conflit latent entre les deux entités, l’Espagne se retrouvera dans une situation budgétaire complexe où, privé des revenus catalans, elle devra assurer le remboursement de toute la dette actuelle. Ceci conduira à des tensions dans l’ensemble de la zone euro. Il en sera de même si, comme l’a menacé la Banque d’Espagne, les banques désertent la Catalogne. Dans ce cas, on glissera vers des scénarios très dangereux. La négociation devra donc s’imposer.
Après la Catalogne, d’autres régions en Europe ?
C’est souvent la crainte en Europe de voir une contagion en cas d’indépendance de la Catalogne. Pourtant, la situation est assez différente. Au Pays Basque, les Indépendantistes n’ont pas, lors des régionales de mai dernier, profité du mouvement catalan et restent minoritaires. Ailleurs en Europe, les mouvements séparatistes sont peu dynamiques. En Flandre, le parti autonomiste N-VA domine le gouvernement fédéral et l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour. En Italie, la Ligue du Nord a abandonné son programme sécessionniste pour un programme calqué sur le FN français et cherche à s’imposer au nord et au centre de la Péninsule. La seule contagion possible concerne, en réalité, en Ecosse où les indépendantistes du SNP ont remporté les élections générales après le « non » du 18 septembre dernier.
Romaric Godin