Casamance: Contribution de Jean Marie François Biagui: 35 ans de politique d’autruche en Casamance et nous nous en accommodons !
[[Avant le « Processus de Rome » prétendument en cours (qui met en scène depuis 2012 le Gouvernement et ce qu’il reste de la faction MFDC de Salif Sadio sous la médiation de Sant’Egidio) et « Foundiougne I » (1er février 2005) consécutif aux « Accords de Paix de Ziguinchor du 30 décembre 2004 », il y a eu les « Accords de Cacheu » (mai 1991) puis les « Accords de Banjul I, II & III » (décembre 1999-février 2000), les « Assises Casamanço-Casamançaises pour la Paix Définitive en Casamance, Maintenant » (septembre-octobre 2002) et l’adoption formelle par l’Etat et le MFDC de la « Plate-forme revendicative du MFDC » comme « Le document de base des négociations de paix » (décembre 2003/janvier 2004).]]
Elle passe pour une lapalissade. Pourtant, elle me taraude, sans cesse, et elle me rend peu fier, cette espèce de part obscure qui est en nous Casamançais et que je ne m’explique pas ou, à tout le moins, que je n’ai pas fini de comprendre. C’est que nous ne nous aimons pas mutuellement. Et cela serait d’autant plus manifeste, que même le président Abdoulaye Wade, l’ayant constaté depuis sa citadelle, n’a pu s’empêcher jadis de s’en désoler avec gravité. C’était le 20 avril 2006, lors d’une audience accordée à des Sages du Sud. « Vous les Casamançais, vous ne vous aimez pas mutuellement… », déplora-t-il, pour l’avoir appris à ses dépens dans le pilotage à vue du processus de paix alors en cours en Casamance.
Certes, nous savons, nous Casamançais, amalgamer les croyances ou les opinions (c’est en Casamance que Chrétiens et Musulmans cohabitent jusqu’à leur dernière demeure) ; nous savons même nous agglomérer à merveille les uns à côté des autres, quelles que soient par ailleurs nos origines socio-culturelles et nos fortunes diverses (la Casamance est la région la plus cosmopolite). Mieux, nous sommes unanimes pour nous retrouver dans un présumé passé glorieux de la Casamance, qui n’est plus, et qui ne sera plus jamais. Nous savons, pour ainsi dire, nous évanouir à l’unisson dans ce passé-là. Mais, dans le présent, nous ne nous aimons pas mutuellement. Malgré, donc, cette apparence de « communauté casamançaise » dont nous nous prévalons avec orgueil.
De sorte que nous paraissons très soudés, alors même que nous sommes une « communauté » que l’on peut très facilement infiltrer, quel qu’en soit le prix, faute de ce ferment social qu’est ‘‘s’aimer mutuellement’’. A y regarder de plus près, il est comme une fatalité que d’en arriver à envier, ou à jalouser. Mais c’est tout autre chose que d’être mesquin, ou obscur, et de ne pas s’aimer mutuellement. Or nous ne nous aimons pas mutuellement, tandis que nous disposons de formidables leviers pour le dissimuler.
Ce sont, entre autres, des « cérémonies traditionnelles », qui n’en sont pas moins, en effet, bien souvent, d’extraordinaires prétextes pour nous neutraliser mutuellement, au pire, ou, au mieux, face à des défis majeurs, nous réfugier – tout masqués donc, et sous prétexte de délibérations à caractère mystique, dans l’opacité la plus totale – derrière quelque volonté dite de la « Terre », en l’occurrence casamançaise, pour ultimement ne rien faire. C’est-à-dire, pour laisser les choses en l’état, si ce n’est pour les faire dégénérer à l’extrême. Qui plus est, sous le couvert de tout cela, apparait un paradigme, en l’espèce fumeux : La « solidarité » casamançaise.
Une « solidarité » qui peut tuer. En fait, dans son déploiement, elle tue, socialement voire physiquement, au profit seulement de quelques-uns, ou d’un individu, et au détriment du plus grand nombre. Et si cette dernière s’avère insuffisante, on « sacralise » pour exclure, ou pour autoriser/inciter à tuer. En même temps, on « dramatise » pour imposer l’omerta. Bref ! toutes choses auxquelles je ne sais guère m’habituer. Et si, finalement, dans ce contexte, le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) n’était, ni le problème, ni la question avec sa réponse dans ce que nous appelons si banalement le « problème casamançais » ?
Un MFDC-nouvelle version, qui, en fait d’indépendantisme, le dispute mal, sinon en amateur, au MFDC originel, aidé en cela, avec ruse et à dessein, par les rares survivants de celui-ci. Lesquels ne ratent jamais aucune occasion pour jurer leurs grands dieux, la main sur le cœur, que le MFDC originel était tout sauf indépendantiste. A croire qu’ils n’étaient aucunement acteurs, ni de leur propre histoire, ni de l’histoire de la Casamance, ni à plus forte raison de l’histoire du MFDC originel, fondé en 1947, soit 13 ans avant l’indépendance déclarée du Sénégal.
Qu’y a-t-il donc de si cruel ou de si avilissant à s’assumer, et notamment, à assumer son histoire et son indépendantisme casamançais, fût-il opportunément, ou par pur opportunisme, dilué dans le panafricanisme de l’époque concernée ? Quoi qu’il en soit, le record de longévité du « conflit casamançais » est l’illustration même de ce que nous Casamançais, nous ne nous aimons pas mutuellement. Ou pas assez. Peut-être saura-t-on un jour que les victimes de ce conflit étaient davantage le fait de règlements de comptes, opportunistes pour le coup, que du conflit lui-même. Tout « communautaires » ou « communautaristes » que nous sommes ou croyons être, nous Casamançais, nous confondons en réalité la ‘‘cohabitation « pacifique » des convoitises’’ avec le ‘‘vivre en communauté’’, tant dans notre perception du concept que dans notre vécu de tous les jours.
Or, fondamentalement, la première ne saurait valoir le second. Convenons, à propos, que si la ‘‘cohabitation « pacifique » des convoitises’’ participe du ‘‘vivre ensemble’’, que celui-ci soit voulu ou non, a priori ou a posteriori, le ‘‘vivre en communauté’’, quant à lui, suppose le ‘‘commun vouloir de vie commune’’, sous-tendu (par) ou ordonné à un même dessein, sinon à un ensemble commun d’intérêts. Le record de longévité du « conflit casamançais », disais-je, est l’illustration même de ce que nous Casamançais, nous ne nous aimons pas mutuellement, ou pas assez. Pourtant, les expertises ne manquent pas pour mettre un terme définitif à ce conflit, aujourd’hui vieux de 35 ans, jour pour jour.
Et parmi ces dernières, nous pouvons citer l’expertise du Collectif des Cadres Casamançais (CCC) « de » Pierre Goudiaby Atepa, historiquement avérée et techniquement éprouvée. Mais l’on a dû compter, aussi, avec le Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (GRPC) nouvellement créé par Robert Sagna, dont les membres sont aussi des membres actifs du CCC (Robert Sagna en est même un père-fondateur), et qui va à cet effet, se comporter comme une vermine aux dépens de celui-ci. Il eût suffi, pourtant, dans l’intérêt de tous, d’œuvrer en l’occurrence à la promotion de l’expertise du CCC.
Aussi, l’expertise en la matière, que mes ami(e)s et moi incarnons, ne saurait-elle être en reste, sous aucun prétexte, pour avoir acquis, de longue lutte, et sa crédibilité (du fait notamment de sa pertinence quintessentielle intrinsèque), et sa légitimité (fondée sur la volonté souveraine y relative de toutes les Socio-Cultures de la Casamance). Sachant, au demeurant, qu’elle est appréciée à maints égards par le CCC, pour nous être très largement inspirés, dans son élaboration et son développement, de son expertise. En l’espèce, notre expertise est comme un aboutissement, sinon un prolongement, de celle du CCC.
Pour rappel, du 1er septembre au 6 octobre 2002, à l’initiative de votre serviteur, ès-qualité, toutes les Socio-Cultures de la Casamance se sont réunies à Ziguinchor, dans le cadre d’« Assises Casamanço-Casamançaises pour la Paix Définitive en Casamance, Maintenant », autour du MFDC, sous la présidence du professeur Malamine Kourouma. Lequel aura eu à ce titre le tort, aux yeux de certains, membres éminents de l’Establishment casamançais, tout Casamançais qu’il est, de n’être pas un Diola, quoiqu’il ait pris pour épouse, une Diola. De toute façon, avec ces derniers, en Casamance, il y a toujours une « bonne » raison pour bannir. Il suffit, hélas, de le vouloir.
Or, les participants (tous représentatifs des différentes Socio-Cultures) à ces Assises ont découvert, au cours de ces moments forts d’introspection salubre, que nous Casamançais, jusqu’alors, « nous ne faisions que cohabiter les uns à côté des autres » en Casamance. Ce qui ne saurait en aucun cas correspondre à l’idée communément admise du ‘‘vivre en communauté’’. Comment, dès lors, parvenir à une paix durable en Casamance, sans nous exhorter, pour devoir nous y obliger, à vivre véritablement en communauté, selon justement cette idée simple du ‘‘commun vouloir de vie commune’’, d’une part en notre sein en Casamance, et d’autre part, à plusieurs Peuples dans un Sénégal nouveau parce que résolument tourné vers la modernité ? Soit une Casamance une et plurielle, dans un Sénégal tout aussi un et pluriel. Or c’est cela, à ne point douter, la solution-clef de ce qui est devenu, depuis, le « problème casamançais », euphémisme par excellence de la « fracture sénégalaise ». Mais pourquoi donc cette « fracture sénégalaise » ?
La « fracture sénégalaise » se fonde paradoxalement sur un bon sens. Il est en effet de bon ton, de bon sens, que la Casamance est un « pays » lointain par rapport au reste du Sénégal. Elle est perçue comme telle par tous, sans questionnement (raisonné) a priori, et vécue en tant que telle par nombre de Casamançais. En vérité, elle est géographiquement lointaine par rapport au reste du pays. Il suffit pourtant de questionner ou de raisonner ce bon sens pour le transcender et, ce faisant, faire abstraction de la Gambie qui se dresse, tel un mur infranchissable, entre la Casamance et le reste du Sénégal. Etre Sénégalais devient alors, du moins sous ce rapport, une (haute) idée, celle de son adhésion à tout un ensemble de valeurs que nous voulons communes ; ce qui du reste, ne va pas de soi.
Mais – faut-il encore le rappeler ? – c’est tout conscients de cela que les pères-fondateurs du Sénégal indépendant, ont prôné, espéré même, l’accomplissement à terme, et seulement à terme, des différents Peuples du pays sous la forme d’un seul et même Peuple sénégalais, mobilisé vers un seul et même But sénégalais, à la faveur d’une seule et même Foi sénégalaise. Soit un Peuple, un But, une Foi ; ou trois options, trois préférences, entre plusieurs autres options/préférences. Ces dernières constituent en effet, et par ce fait même, une vision, mais guère une conviction, ni une croyance. Et parce qu’elles sont une vision, elles appellent, pour son actualisation, et une éthique, et une politique ; c’est-à-dire une éthico-politique, qui soit elle-même ordonnée à l’option/préférence-par-excellence.
Chez nous, au Sénégal, l’option/préférence-par-excellence, l’option/préférence primordiale ou absolue, peut consister en l’accomplissement de notre pays en tant qu’une Démocratie (existentielle et institutionnelle) républicaine ou une République (existentiellement et institutionnellement) démocratique, incarnée par des citoyens-sujets, des Sénégalais nouveaux, tous imbus de la volonté sous-tendue par l’idée du ‘‘commun vouloir de vie commune’’ à plusieurs Peuples. Il faut d’ailleurs se rappeler que c’est parce que le Sénégal est digne de tous les sacrifices, que nos ancêtres ont payé de leur vie pour qu’il devienne une Démocratie, ou une République.
Or, cette dernière peut être unitaire, plus ou moins décentralisée, ou fédérale. En fait, des options/préférences secondes, mais non moins importantes ou fondamentales, qui doivent cependant être en parfaite corrélation avec notre vision éthico-politique. En l’occurrence, le Sénégal a vocation à s’accomplir, dans la paix et la concorde, en tant qu’une République ou une Démocratie de type fédéral, tel que les Socio-Cultures de la Casamance nous y ont conviés, notamment en ces termes : « Non au statu quo, non à l’indépendance ».
C’était à l’issue des fameuses Assises Casamanço-Casamançaises. S’il est donc vrai que gouverner, c’est d’abord concevoir et ensuite réaliser puis évaluer, et ainsi de suite ; les Socio-Cultures de la Casamance ayant conçu une solution au « problème casamançais », la meilleure du moment ; il appartient alors à l’Etat avec le MFDC de la réaliser maintenant, et de l’évaluer en temps utile.
Pour notre part, comme tout le monde le sait, mes ami(e)s et moi avons pris acte de cette volonté souveraine des Socio-Cultures de la Casamance et, pour ainsi dire, nous avons acté cela, en son temps, au nom du MFDC, sous la forme d’une « Plate-forme revendicative », au moyen de laquelle nous revendiquions, précisément, la réhabilitation de la Région Naturelle de la Casamance comme telle et son érection en tant que Région ou Province autonome, juridiquement (constitutionnellement), techniquement et financièrement (en termes notamment de budget).
Et ce, au même titre que les autres Régions Naturelles du Pays (option ‘A’). Sinon, en guise d’option ‘B’, l’institution, pour la seule Région Naturelle de la Casamance, de la « Collectivité territoriale de la Casamance à statut particulier » au sein de l’Etat unitaire décentralisé du Sénégal. Avec, en prime, dans les deux cas, un MFDC totalement mué sous la forme d’un parti politique national légalement constitué et à vocation nationale, et, comme tel, dénommé « Mouvement pour le Fédéralisme et la Démocratie Constitutionnels », « MFDC ». Entendu, au demeurant, qu’il ne saurait y avoir – au vu de la volonté souveraine des Socio-Cultures de la Casamance telle qu’exprimée lors des « Assises Casamanço-Casamançaises pour la Paix Définitive en Casamance, Maintenant » – d’option ‘C’. Sauf à considérer que la guerre en est une.
A noter que ce que nous autres avons conçu, chez nous, au Sénégal, depuis la Casamance, en 2002, a été réalisé par les Colombiens, chez eux, en Colombie, en 2017, avec des « Forces Armées Révolutionnaires de Colombie », « FARC », alors devenues – ainsi qu’il sied, comme parti politique légalement constitué – une « Force Alternative Révolutionnaire Commune », « FARC ». Il va sans dire que ladite « Plate-forme revendicative du MFDC », adoptée en décembre 2003/janvier 2004 comme « le document de base pour les négociations de paix » par l’Etat et le MFDC, demeure plus que jamais d’actualité, pour n’être dénoncée à ce jour, soit 14 ans après, par aucune des parties concernées.
Donc, lorsque nous préconisons, en guise de solution au conflit en Casamance, une République fédérale au Sénégal, qui sous-tende deux légitimités (nationale/régionale) avec deux niveaux de gouvernement ou de gouvernance (national/régional), nous ne faisons pas une profession de foi ; nous n’exprimons pas une conviction, ni une croyance. Bien au contraire, nous exprimons, à hauteur de la réalité consubstantielle au Sénégal, une vision éthico-politique.
Souvenons-nous qu’il a suffi, pour ce qui est devenu le MFDC, d’être convaincu, de croire, sans le questionner ou le raisonner, que la Casamance n’est pas une partie intégrante du Sénégal, d’une part et, de l’autre, tout le contraire du point de vue de l’Etat, sans le questionner ou le raisonner non plus, pour générer un conflit armé en Casamance, l’un des plus vieux au monde. C’est que toutes les guerres naissent d’une conviction ou d’une croyance non raisonnées, non questionnées.
Etre Sénégalais, disais-je, c’est se reconnaître dans les valeurs consubstantielles à notre Société (multi-socioculturelle par essence et égalitaire par vocation), nonobstant les pesanteurs d’ordre historique, culturel, sociologique, géographique ou territorial. Aussi, le citoyen-sujet sénégalais, ou le Sénégalais nouveau (si l’on préfère), celui précisément pour lequel mes ami(e)s et moi nous battons inlassablement, n’aurait-il rien de nouveau si tous les Gouvernements successifs du Sénégal étaient conséquents avec eux-mêmes dans la gouvernance du pays.
Il faut donc y remédier, au plus tôt. Mais comment cela se peut-il avec une Casamance qui n’en finit pas de se fracturer, dans un Sénégal fracturé ? Depuis les Bolongs du Sine-Saloum, le 26 décembre 2017.
Jean-Marie François BIAGUI Président du Parti Social-Fédéraliste (PSF) Ex-Secrétaire Général du MFDC