Casamance: le texte intégral du KEKENDO sur la promotion des valeurs traditionnelles de la Casamance
Commémoration du dixième anniversaire du rappel à Dieu de l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor.
THEME : Retours aux Sources : promotion des Valeurs Traditionnelles de la Casamance.
L’ennemi mortel d’une conspiration n’est pas tant une autre conspiration, avec laquelle on peut toujours trouver un accord, mais plutôt le peuple que l’on vampirise pour qu’il puisse continuer à croire, ou au moins à feindre de croire au jeu.
Nos monuments à nous, ce sont les traditions orales qui trépassent avec les vieillards qui meurent, véhiculées à travers différentes langues souvent imperméables les unes aux autres. Les autorités traditionnelles en Casamance n’ont plus d’audience ni de moyens d’expression. Le manque d’une réelle organisation gouvernementale supposant tout d’abord le recouvrement de notre indépendance permet cette agression et ce pervertissement dont nous sommes victimes aujourd’hui. Nous sommes, dans le monde, un peuple fragile qui doit prendre son destin en main avant de se perdre à jamais dans le puit de l’oubli éternel.
En effet, une réflexion sur les valeurs traditionnelles en Casamance et leur retour dans les foyers tout en respectant les codes de conduite et la forme se trouve être avant tout une affirmation de notre identité culturelle propre qui doit servir de fondement à la véritable indépendance nationale. La culture a joué un rôle de premier plan dans toutes les luttes pour la libération nationale. L’affirmation de notre identité culturelle Casamançaise doit constituer un des objectifs prioritaires du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance.
- – L’identité culturelle
En contestant la suprématie occidentale mais aussi celle de tout autre peuple sur la nôtre depuis les premières heures de la colonisation, le peuple de Casamance a plongé dans l’enracinement de sa propre civilisation. A cet égard un retour aux sources de la culture territoriale de cette époque semble être le premier pas vers la libération créatrice, mais il cesserait de l’être si, au lieu d’aboutir à une vie culturelle authentique, il n’était que l’effet d’une vision passéiste (qui a tendance à valoriser le passé, à le regretter, à s’y attacher au détriment du présent et de l’avenir) de la culture.
Si nous en sommes arrivés à parler de traditions Casamançaises plutôt que de cultures traditionnelles, c’est que nous ne pouvons admettre qu’il y ait contradiction entre l’héritage du passé, transmis de génération en génération à, travers une histoire mouvementée, et le développement fondé sur la libération de notre peuple. Nous estimons qu’à ce niveau, la réflexion doit tenir compte du fait que la tradition n’étant pas hors de l’histoire vivante, son retour dans les foyers des populations doit dépasser l’expérience des siècles précédents, au besoin de faire éclater le carcan qui les aliène. Il s’agit, en somme, de renouer avec le passé pour mieux vivre le présent et assurer l’avenir.
L’inventaire des traditions comporte différents volets, se traduisant partout dans les contes, les proverbes, la médecine populaire etc. Il ne faut pas prétendre les trouver sous des formes codifiées parlantes, le caractère parfois ésotérique et empirique, qui les enveloppe, empêchant leur développement systématique. Pour faire la lumière sur ces conceptions traditionnelles il y a le besoin de la connaissance profonde de la tradition orale qui assure la parfaite connaissance du répertoire culturel et explique le monde, l’histoire, l’organisation sociale, les techniques, les relations humaines et les rapports avec les voisins.
Éducation sur le passé et aussi sur le présent, la symbolique directe enrichit à chaque génération la mémoire sociale qui n’est jamais coupé du monde fabuleux de l’imaginaire.
Dans le contexte de la maîtrise de la tradition orale, l’importance de nos langues est capitale. Ceux qui, autrefois, avaient tendance à négliger les langues parlées en Casamance, reconnaissent aujourd’hui le rôle irremplaçable qu’elles jouent en tant que source, support et véhicule de la pensée et des cultures dans nos terroirs respectifs. Dans un premier temps, on doit réhabiliter nos langues de Casamance en prouvant leur aptitude à exprimer la pensée abstraite, aptitude que des esprits trop intéressés et généralement ignorants voulaient leur renier ; il s’agit là de faciliter à travers elles l’accès du plus grand nombre au savoir le plus profond.
La problématique de la valorisation des traditions Casamançaises dans l’espace considéré aujourd’hui comme : l’espace national, implique nécessairement l’affirmation d’une identité culturelle nationale qui passera par la désaliénation résolument voulue des modes de penser et d’agir étrangers à la réalité Casamançaise et l’absence d’une forme d’extraversion qui caractérise encore trop souvent certains comportements de nos concitoyens. Et dans ce contexte, l’enracinement dans les valeurs authentiquement Casamançaises suppose la reprise en compte des langues de nos terroirs qui devra s’opérer par le biais de leur utilisation quotidienne dans nos relations d’échange, leur étude scientifique et objective et de leur insertion dans les systèmes sociaux-éducatifs, administratifs et politiques.
Sans doute, l’analyse des valeurs fondamentales de notre société Casamançaise, en vue de déboucher sur une pédagogie de leur revalorisation à travers leur insertion dans les systèmes d’éducation conventionnelle et non conventionnelle, ne doit pas être une complexité devant mener à un grand nombre de difficultés d’ordre stratégique. En évoquant ces difficultés, on peut penser tout d’abord au problème de la diversité culturelle et de l’unité nationale.
Cependant nous reconnaissons tous, que la diversité représente, en Casamance, une réalité originale et vivante. C’est pourquoi, nous estimons, en outre, que loin d’être un élément de division, la diversité culturelle Casamançaise est perçue comme un facteur d’équilibre et d’unité. Ainsi l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor soutiendra : « la Casamance est la Patrie Céleste où Dieu veut rassembler tous les fils authentiques de la terre avec le commun vouloir de vie commune ». L’instauration d’un dialogue fécondant entre les différentes cultures et la participation active des diverses communautés à la vie politique et culturelle du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance, favorisent l’intégration et l’unité nationale. Quant au choix des valeurs traditionnelles à insérer dans le système socio-éducatif, il procède de ce fait, de la nécessité de dégager les points communs à la diversité, qui constitueront la base de notre culture nationale.
- – Tradition authentique et valeurs étrangères.
Pour mieux situer cette problématique il faut, à mon avis, donner le contour précis du rapport de la tradition et de la modernité le cadre défini de la dynamique de la société Casamançaise. Le souci de la réalité historique stimule à suivre la sphère de l’évolution des traditions Casamançaises. Ce souci se justifie par la raison simple que nos traditions sont un produit complexe de l’évolution de notre société.
Une analyse synchronique permet de partir du rôle de chaque structure au sein de la totalité structurelle des sociétés traditionnelles pour saisir par ce biais les valeurs qui s’y attachent et qui constituent justement les traditions.
Egalement une analyse diachronique, tout en indiquant l’évolution de la hiérarchie des structures, montre l’évolution des traditions. L’impact des religions musulmane et chrétienne y trouve son compte.
Mais en fait, l’impact, l’agression coloniale avec la détermination historique, en agissant sur les structures de base, va opérer un bouleversement systématique des formations sociales traditionnelles. J’estime qu’il est nécessaire de situer la nature composante, complexe des traditions issues de cette totale disharmonie structurelle, d’indiquer également les aspects de leur rôle fonctionnel dans la résistance culturelle à la domination étrangère.
Sans nier en quoi que ce soit la validité de cette résistance, l’analyse du fonctionnement des structures permet de se rendre compte que dans la hiérarchie interne déterminée qui fonde la rationalité de toute société, le mode de production moderne imposé par les étrangers est caractérisé par sa dominance qui marque la nature de la relation nouée avec l’ensemble des modes de production traditionnels dominés, mais toujours présents.
Cette relation complexe et dynamique entre notre mode de vie et le mode de vie des étrangers détermine l’évolution des structures économico-sociales des formations sociales Casamançaises. Et dans ce contexte on peut considérer le rapport entre ce qui nous appartient et ce qui nous est étranger comme le mal qui nous ronge aujourd’hui.
Pour vaincre se mal et se hisser au-devant de la scène, il faudra nécessairement une revalorisation de notre patrimoine historique et culturel. Cela suppose inévitablement un retour aux sources : l’invitation solennelle de cette année.
En situant une fois de plus la pertinence de ce thème, vous me permettrez de penser à cette source de la sagesse africaine qui, nous enseigne que : « toute jeunesse, qui se réjouit de la disparition des valeurs traditionnelles, se réjouit par la même occasion de sa propre décadence ». C’est dire en bref que la jeunesse ne saurait s’épanouir sans tenir compte des valeurs de la tradition. C’est donc un devoir de les analyser pour les mettre au service de la construction de notre nation.
- – Impérialisme culturel étranger et devenir de la culture Casamançaise
La grande harmonie sociale que connaît la Casamance présente semble avoir pour toile de fond le brassage culturel. Comme ici, ailleurs aussi toutes les entreprises humaines se dessinent sur la base de la culture devenue pluridimensionnelle. Toutes fois, dans leurs diversités, les cultures cherchent à se compléter et à se phagocyter les unes les autres. La dimension sociale de la réalisation humaine a fait qu’aujourd’hui aucune culture ne peut vivre en autarcie.
Cependant, au rendez-vous du donner et du recevoir culturel, celle-ci revêt un nouveau visage. Le choc culturel, ce « sentiment de profonde désorientation qu’éprouvent les personnes et les groupes mis soudainement en contact avec un milieu culturel dont les traits se révèlent inconnus, incompréhensibles, menaçants », a provoqué dans notre société des grandes mutations laissant place à l’érosion des valeurs morales, à la perte d’identité culturelle et au déséquilibre interne.
Au rythme du brassage culturel, on est porté à croire qu’à la longue, la culture de notre peuple Casamançais risquerait de disparaître du fait de sa marginalisation, de son abandon par la complicité des Casamançais eux-mêmes au profit d’une culture Wolof (Sénégalaise). En effet, le choc cultuel a apporté un déplacement de sens : les Casamançais ne sont plus eux-mêmes parce que victimes d’une aliénation culturelle causée par un regard tourné vers le Sénégal qui a fini par endormir les consciences et par jouer le rôle de « l’opium du peuple » au point de constater avec le KEKENDO que « la plupart des Casamançais établies à l’extérieur de nos frontières et dés fois même ceux qui sont restés sur place ont honte de s’affirmer en tant que Casamançais, une honte secrète qu’ils ne font pas la leur, mais qui hante jusqu’à leur fierté. » Ce constat est pertinent à plus d’un titre ; car nombre de Casamançais fuient aujourd’hui leur identité, leur réalité culturelle. Nombre sont ceux qui ne savent rien de leur culture, de leur langue maternelle. La société Casamançaise d’aujourd’hui nous fabrique des déracinés, des aliénés et acculturés de toute sorte autant que nous les voudrions.
Dans une Casamance double, une qui, se bat encore pour garder son authenticité et recouvrer son indépendance et le reste qui épouse les idéaux néocolonialistes du Sénégal dans toutes ses dimensions sans esprit critique, avec parfois l’apparition des élites déracinés, assimilés, extraverties, et coupées de leur peuple, plongée dans « une vision déformée et déformante des réalités culturelles de notre pays », des inquiétudes planent sur le devenir socio-culturel Casamançais. L’entrée de la Casamance dans le concert des nations est perplexe.
Si rien n’est fait d’ici la rencontre avec la prochaine histoire, la Casamance ne sera qu’une pure consommatrice portant sur son dos une culture amoindrie dans le marché Africain et mondiale. Dans cette Casamance se dessine un paradoxe qui fait qu’on ne sait plus quelle voie emprunter. Car « à ne pas vouloir sortir des sentiers battus, à ne pas oser pénétrer la forêt pour en finir avec le sois disant lion qui se proclame roi, pour enfin nous installer définitivement dans la terre de nos ancêtres, nous nous contenterons des animaux domestiques et demeurerons des chasseurs infirmes, tournant sur nous-mêmes, sans jamais affronter la tanière ni même avancer en brousse. ».
Devant cette crise d’identité culturelle qui recouvre nos rapports sociaux, une question attire notre attention.
Que deviendra la culture Casamançaise face à cette influence imposante de la culture étrangère (wolof) ?
Faudrait-il rester bouche close devant cette désorientation totale qu’a engendrée le choc culturel dans nos familles ?
Comment donc passer les yeux fermés quand, sur nos routes quotidiennes, nous rencontrons nombre de Casamançais, tant de jeunes et adultes déracinés et quand nous sommes en face des gens qui ne veulent même pas entendre parler une quelconque langue Casamançaise pour se réclamer d’une culture dont les tenants et les aboutissants leur sont inconnus ?
N’est-il pas temps pour la Casamance de mettre en place sa politique culturelle comme l’ont fait les autres territoires d’Afrique et d’orienter autrement la question de son développement qui ne saurait se passer de sa culture ?
N’est-il pas temps pour elle de repenser sa culture pour recouvrer sa place dans le monde, de faire une analyse objective de son passé, une critique rigoureuse de son présent pour déterminer la voie de l’avenir, de faire un retour à sa source culturelle pour y puiser les valeurs humaines, ultimes et passer au progrès sans s’aliéner ?
Voici tant de questions qui ont attiré notre attention et qui nous ont orientées vers ce thème inspiré des réalités quotidiennes.
CONCLUSION GENERALE
Face à l’assaut direct et brutal du schème culturel des Sénégalais, la Casamance se trouve pris au piège d’une pseudo-valeur d’une culture étrangère qui dépersonnalisent le type Casamançais ; il y a nécessité de prendre une part importante au réveil des consciences pour une révolution culturelle Casamançaise humanisante. Ce projet vise en effet à contrer l’impérialisme culturel Sénégalais devenu plus complexe, plus tentaculaire et plus agressif que jamais, détruisant par le fait même la culture de nos terroirs, en saccageant son incarnation dans l’histoire de l’humanité.
L’enjeu est la redéfinition de l’identité Casamançaise dont « la tradition ne doit pas être ni un élément d’oppression, une espèce de refuge d’inhibition, une espèce de ceinture dont les dominants seraient heureux de se servir, ni un alibi à l’usage de certaines bonnes volontés néanmoins paternalistes », mais comme atout de réalisation de la nature humaine mis au service de l’humanité.
Au-delà de ces pseudo-valeurs, la culture deviendra alors force de libération et d’accomplissement.
Face à ce phénomène, on constate avec anxiété et tristesse que l’historicité des relations interculturelles a provoqué des mutations sociales importantes : aliénation, acculturation, ethnocentrisme, assimilation. C’est dans ce contexte d’impérialisme que nombre ne savent plus aujourd’hui sur quel pied danser. Les appels lancés de toute part pour la sauvegarde de l’identité de soi, surtout dans le Tiers-Monde dont la culture se trouve menacée et placée au garage folklorique sont de plus en plus aigus. Seule une révolution culturelle en profondeur nous permettra de réaliser l’homme total dont a besoin la Casamance. Et cette « révolution culturelle ne sera pas l’avènement d’une maisonnette culturelle, d’un factice retour à l’état d’un monde de rêve et de folklore », mais l’incarnation d’une Casamance digne d’elle-même, la réinvention d’hommes nouveaux libres, fiers d’appartenir à leur peuple, prêts à œuvrer pour la réalisation du type Casamançais au sein de cette humanité. Ainsi, on assistera à l’avènement d’une nouvelle élite qui jouira de son identité et non plus à celle d’aujourd’hui falsifiée, dépersonnalisée, déracinée et aliénée par une mentalité abrutie et colonisée. Tâche difficile car si rien n’est fait, « l’âme Casamançaise achèvera de se dissoudre si les élites du pays persistent à refuser leur propre passé, à craindre l’immersion dans la masse et à prêcher l’exode culturel. »
En réalité, l’éducation permanente des jeunes et des adultes dans le réveil des consciences, des âmes est capable de donner à la Casamance son image d’antan où sa verdure rayonnante miroitaient au soleil et attiraient les abeilles des déserts lointains. Elle prendra la famille comme cellule de base et l’homme de culture comme éveilleur de conscience. L’éducation à la langue maternelle sera l’élément moteur en partant des réalités propres à notre peuple pour transformer notre milieu. Et « c’est pour cette raison qu’il faut utiliser les langues Casamançaises par lesquelles on peut instruire les masses et leur communiquer les méthodes culturelles et les techniques culturelles. ». Il s’avère alors nécessaire d’apprendre nos langues à l’école et d’orienter autrement notre politique culturelle.
Et pour un accès à un très grand nombre à cette culture Casamançaise, il faut procéder à sa promotion, à sa diffusion et à la volonté d’offrir aux autres univers sociaux ce que nous avons de plus précieux et de particulier. Il est important à tout peuple de promouvoir sa culture, d’entamer une révolution culturelle pour se libérer des contraintes des pseudo-valeurs et ne pas se laisser anéantir par la nostalgie du passé ou par la mondialisation. Il est donc nécessaire de procéder à une décolonisation de nos mentalités arrêtées sur notre propre culture et d’être ce que nous sommes : des Casamançais. Avec le KEKENDO et tous les participants ici présent au siège du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), je lance un appel : Casamançais, « Deviens ce que tu es » tout en sachant que : « tu ne pourras jamais être l’autre. »
Par Baboucar Badji, Président de l’Association
Des étudiants pour le développement de la Casamance (AEDC), KEKENDO
Fait à Ziguinchor, le 20 janvier 2017
Bakinemit
Les langues, cultures et histoire constituent l’âme d’un Peuple. Merci à nos jeunes de Kekendo pour leur détermination dans le combat pour le sauvegarde de nos valeurs et cultures en Casamance Naturelle. Toute la Casamance vous félicite et est avec vous pour toujours.
Vive la Casamance libre et indépendante!
Zeus
L’IDENTITE CULTURELLE A DEFENDRE C’EST LA VOIE DE LA LIBERTE ET DE L’INDEPENDANCE