Contribution du Professeur Toyin Falola : Le colonialisme à l’origine des séparatismes africains
« Le colonialisme est à l’origine de tous les mouvements séparatistes en Afrique« . Cette affirmation vient du professeur d’histoire Toyin Falola, qui enseigne à l’université du Texas, à Austin. Il raconte comment les puissances coloniales européennes se sont partagé le continent entre elles, entre la conférence de Berlin sur le Congo en 1884/85 et la fin de la Première Guerre mondiale : « Elles ont mélangé des centaines de peuples et de nations qui avaient existé auparavant en une cinquantaine de pays« , raconte-t-il. Des « bricolages » ne tenant pas compte des structures existantes ou des affiliations religieuses et ethniques.
Il était cependant difficile à l’époque de définir avec clarté les limites du territoire, nuancent d’autres chercheurs. « Il était compliqué parfois de dire exactement quand une zone a appartenu à qui« , explique Lotje de Vries, professeure adjointe à l’université néerlandaise de Wageningen et co-éditrice du livre « Sécession dans la politique africaine« . Et elle a dû relever le défi de la catégorisation des différents mouvements séparatistes en Afrique. Retour sur quelques exemples marquants.
Le cas de l’Ambazonie au Cameroun
Après la Première Guerre Mondiale, le Cameroun, auparavant colonie allemande, est placé sous mandat britannique et français. Mais, en 1961, un référendum scelle l’avenir du Cameroun britannique : la partie nord décide de rejoindre le Nigeria, la partie sud est aspiré par la République du Cameroun, l’ancienne partie française.
Aujourd’hui, la population anglophone est minoritaire et se sent désavantagée par rapport à la majorité francophone. Cela a conduit à un violent conflit qui a fait plus de 3.000 morts jusqu’à aujourd’hui. Les séparatistes et l’armée sont tous deux accusés de graves violations des droits de l’Homme. Il y a trois ans, les deux régions anglophones du pays ont symboliquement déclaré leur indépendance et proclamé la République d’Ambazonie.
Le Togoland occidental au Ghana
L’histoire de cette région est similaire à celle du Cameroun : après la Première Guerre Mondiale, l’ancien protectorat allemand, Togoland, a été divisé entre la Grande-Bretagne, à l’Ouest, et la France, à l’Est. La partie britannique a finalement fusionné avec le Ghana d’aujourd’hui.
Fin septembre, la situation dans la région du Togoland s’est à nouveau aggravée. Des séparatistes ont déclaré la région comme État souverain. Des tentatives similaires avaient déjà eu lieu par le passé. La raison : une partie de la population locale ne se sent pas suffisamment représentée par le gouvernement ghanéen. La région, comme l’Ambazonie, fait partie de l’Organisation des Nations et des peuples non représentés, qui agit comme un lobby pour ceux qui ne sont pas reconnus comme des États par les Nations unies.
Le cas du Biafra au Nigeria
Dans certains conflits, la manière dont les États ont traité l’héritage colonial après l’indépendance a joué un rôle important dans les revendications d’indépendance. La région du Biafra, dans le sud-est du Nigeria, en est un exemple. Quelques années après l’indépendance, une guerre civile y a éclaté (1967-1970). Durant cette guerre, on estime qu’entre 500.000 et trois millions de personnes sont mortes. Une guerre civile dont l’une des causes tient à la structure fédérale mise en place au Nigeria dans les années 1960.
Une « mauvaise gestion post-coloniale », estime le professeur d’histoire Toyin Falola. À l’époque, la question clé était la répartition du pouvoir et des revenus économiques au sein de l’État.
« Chaque fois que vous centralisez trop quelque chose, il y a de nouvelles crises subordonnées. Parce qu’on ne peut pas trop centraliser sans marginaliser quelqu’un« , analyse Toyin Falola. Les tendances séparatistes se sont manifestées à maintes reprises dans le sud-est du Nigeria. « Les conditions qui ont conduit à la guerre au Biafra sont toujours là », estime ainsi Toyin Falola.
Cependant, dans son livre, Lotje de Vries classe le Biafra dans la catégorie des cas où la menace de sécession est plutôt considérée comme un moyen de pression pour être entendu et pour gagner en poids politique.
L’archipel de Zanzibar en Tanzanie
Tout au long de son histoire, l’archipel de Zanzibar a été soumis à différentes dominations : le Portugal a été la première puissance coloniale à y exercer son influence, suivi par le sultanat d’Oman et la Grande-Bretagne. Entre les deux, Zanzibar était un sultanat indépendant. Après l’indépendance du Royaume-Uni, une révolution éclate en 1964. Quelques mois plus tard, Zanzibar fusionne avec le Tanganyika pour former la République unie de Tanzanie.
Cependant, Zanzibar est en partie autonome. L’archipel possède son propre gouvernement et son Parlement. Le nationalisme y est fortement ancré. Certains partis poursuivent activement l’objectif de l’indépendance.
Dans son livre « Sécession dans la politique africaine« , Lotje de Vries estime que le désir de séparation de Zanzibar est « aussi une expression de la recherche du meilleur système de gouvernement après que le fédéralisme n’a pas tenu sa promesse ».
Le Cabinda en Angola
Lorsqu’il s’agit de vouloir faire sécession d’un État, les intérêts économiques -accès aux ressources, contrôle, accès et répartition des recettes- jouent toujours un rôle. Le Cabinda en est l’exemple par excellence. La province fait partie de l’Angola, mais en tant qu’enclave, elle est séparée de la partie beaucoup plus grande de l’Angola par l’estuaire du Congo, qui appartient à la République démocratique du Congo. Le Cabinda était un protectorat portugais jusqu’à ce que le Portugal l’annexe à l’Angola. Il y a depuis de nombreux conflits entre le gouvernement central et des mouvements indépendantistes.
La province génère 60 % de la production pétrolière de l’Angola. La colère des séparatistes est également enflammée par le fait que le gouvernement central en tire un grand profit. Depuis les années 2000, les affrontements sanglants et les attaques des séparatistes au Cabinda se sont répétés.
La Casamance en conflit depuis des décennies au Sénégal
Le Sénégal était une colonie française jusqu’en 1960. Dès son indépendance, certains Casamançais dans le sud du pays souhaitent acquérir leur propre autonomie. Le conflit éclate réellement en 1982, le 26 décembre, à Ziguinchor, principale ville de Casamance. Une marche du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) réprimée par les forces de l’ordre vise alors à dénoncer, pêle-mêle, la « confiscation des terres » au profit de populations du nord du Sénégal et de groupes hôteliers, les brimades de l’administration ou le « mépris culturel » des « Nordistes« . Le conflit qui déchire le sud du Sénégal a fait des milliers de victimes civiles et militaires et mis l’économie de la région à genoux.
Le cas à part du Sahara occidental
Depuis le départ de la puissance coloniale espagnole en 1975, le Maroc a pris le contrôle des deux tiers du Sahara occidental qu’il considère comme partie intégrante du royaume. Soutenu par l’Algérie, le Polisario en contrôle l’autre tiers. Mais cette vaste étendue désertique de 266.000 km2 bordant la côte Atlantique au nord de la Mauritanie n’appartient officiellement à aucun pays. Elle est considérée comme le seul territoire du continent africain dont le statut postcolonial n’a pas été réglé par les Nations unies. Rabat propose une autonomie du Sahara occidental sous sa souveraineté tandis que le Polisario exige un référendum d’autodétermination, prévu par l’accord de cessez-le-feu de 1991 et jamais mis en œuvre.
Toyin Falola