Casamance : Meurtrie, la Casamance survivra
La Casamance, berceau de résistance active et passive contre toute forme de colonisation, réservoir de richesses naturelles et culturelles, se retrouve une fois de plus sous le joug d’une violence insoutenable de l’armée sénégalaise contre les populations civiles. L’incursion militaire sénégalaise dans la zone de Sindian, entre le 8 et le 10 octobre, marque une nouvelle page sombre de l’histoire de la Casamance où la paix est toujours aussi fragile, et où les populations civiles continuent de porter un lourd fardeau.
Ce n’est plus simplement une histoire de sécurisation des frontières ou de lutte en Casamance contre les champs de cannabis, comme tente de le justifier la DIRPA, la voix propagandiste de l’armée sénégalaise. Ce récit officiel masque mal la détresse humaine qui découle de ces actions militaires contre des civils. Pourtant dans les régions sénégalaises des îles du Sine Saloum jusqu’aux abords du Fleuve Sénégal à Matam, prolifèrent des milliers d’hectares de chanvre indien sous l’œil des autorités. Aussi, Dakar, Touba, Thiès et Mbour sont connus à travers le monde comme la plus grande plaque tournante du trafic de cocaïne en Afrique et personne s’en émeut.
Les témoignages poignants des villageois – leurs biens pillés, leurs terres dévastées et leur dignité bafouée, juste aux heures de l’enterrement à Niomoune de Bourama Sambou, père du défunt sergent-chef Fulbert Sambou assassiné à Dakar, mais aussi à quelques semaines après le bombardement des villages par l’armée tuant une femme et son bébé et après l’exécution sommaire du jeune cultivateur Aliou Sané, révèlent une réalité bien plus complexe et tragique.
Ce n’est pas seulement une opération militaire qui s’est déroulée à Sindian, mais un véritable saccage au nez et à la barbe de tous ces politiciens sénégalais d’origine casamançaise, sans cœur ni âme, sourds et muets, qui oublient de protéger ceux qui les ont pourtant élus. Sont-ils devenus les esclaves des Sénégalais « Diame Gueum Service » une fois à Dakar ?
Des villages entiers ont été fouillés, pillés, et leurs habitants contraints de fuir en masse vers la Gambie. Ces hommes et ces femmes, déjà meurtris par des décennies de conflits, se retrouvent aujourd’hui spoliés non seulement de leurs biens matériels, mais aussi de leur droit fondamental à la liberté, à l’indépendance et à la paix.
L’ampleur des pertes subies par les populations est tragique. Les soldats sénégalais n’ont laissé derrière eux que des terres ravagées et des foyers brisés. Les panneaux solaires, symboles d’espoir pour un avenir meilleur, ont été arrachés. Les maigres économies et ressources, comme les sacs de riz et l’huile, ont été volées. Pire encore, les cultures qui nourrissent ces familles – manioc, papayes, citrons, manguiers – ont été détruites. Dans cette région où l’agriculture est la principale source de subsistance, cette destruction est une attaque directe contre la survie des habitants.
Le sort de la Casamance ne se limite pas à des biens matériels perdus ou des cultures dévastées. Il s’agit d’une atteinte à la dignité humaine. Un millier d’hommes, de femmes et d’enfants, terrorisés, ont dû abandonner leurs maisons et traverser la frontière vers la Gambie, espérant y trouver un refuge. Que reste-t-il de la Casamance lorsque ceux qui font vivre ses villages, ses champs et ses traditions sont forcés à l’exil ?
Cette crise révèle aussi une fracture plus profonde entre le Sénégal et la Casamance. Les Casamançais, victimes de 64 années de conflits, ne semblent plus croire en l’État sénégalais. L’un des témoignages est édifiant : ce tisserand, qui avait voté pour le régime actuel en espérant un changement, constate aujourd’hui avec amertume que son rêve de paix a été trahi. « C’est pire que Macky Sall », dit-il. Ses mots résonnent comme un désaveu de la politique actuelle envers la Casamance et comme un avertissement : la situation devient insoutenable.
Les justifications avancées par les autorités militaires – la lutte contre les plantations de cannabis – sonnent creux et déplacées face à l’ampleur des souffrances infligées aux populations civiles. D’autant plus que plusieurs pays dans le monde ont légalisé ou tolèrent cette culture. Comment justifier de tels actes de violence et de destruction sous ce prétexte, alors que des solutions plus humaines existent ? Pourquoi, au lieu d’accompagner la population dans une démarche de négociation avec les indépendantistes du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC), le Sénégal préfère-t-il user de la force brute et semer la désolation parmi les populations ?
Le monde regarde, les activistes casamançais s’indignent, et la diaspora crie sa colère. Mais qui parmi des natifs de la Casamance qui ont reçu la bénédiction et le vote des Casamançais, aujourd’hui au sommet de l’État sénégalais, entendra le cri de ce peuple qui souffre en silence ? Qui répondra aux larmes de ces femmes et de ces enfants chassés de leurs terres ? Personne ? Comme Emile Badiane, Assane Seck, Ibou Diallo, Robert Sagna, personne ne croît à Famara Ibrahima Sagna, Atépa Goudiaby, Abdoulaye Baldé, Guy Marius Mohamed Sagna, Ousmane Sonko ou autres activistes et journalistes.
La Casamance, aujourd’hui, est une terre en deuil. Un deuil de ses ressources, de ses villages et de sa dignité. Mais surtout un deuil de l’espoir. L’espoir d’une paix véritable et d’un avenir où les Casamançais ne seront plus des victimes de violences aveugles. Il est plus que temps de mettre fin à cette spirale de violence et de redonner à la Casamance le droit de vivre en paix sur ses terres, sans peur ni oppression. Seule la lutte pour l’indépendance libèrera. Meurtrie, la Casamance survivra. Invicta Felix (Heureux invaincus)!
Emile Tendeng