Contribution : Le faux-témoignage de Jacques Charpy : Révélations sur l’histoire cachée de la Casamance (Almamy Balandine Sonko)
Dans un contexte historique tendu et souvent troublé, la Casamance, marquée par une lutte d’indépendance vieille de plusieurs décennies, a toujours suscité passions et controverses. Mais c’est un livre qui vient récemment d’alimenter cette dynamique en apportant son lot de révélations inattendues et explosives. L’Idée de la Casamance autonome de Séverine Awenengo Dalberto, une chercheuse française du CNRS, se fait l’écho de cette histoire en se focalisant sur une période clé de 1875 à 1970. Son ouvrage a fait l’objet d’un véritable raz-de-marée, s’arrachant à plus d’un million de copies en à peine deux semaines. Si l’on attendait des réponses sur les racines de la question casamançaise, ce sont des révélations sur une autre figure du passé de la région qui surgissent, ébranlant la version officielle.
Jacques Charpy, un nom qui peut sembler familier dans les cercles historiques français, est au cœur de cette tourmente. Historien et archiviste, il a été choisi comme témoin par le président sénégalais de l’époque, Abdou Diouf, dans le cadre de la guerre civile casamançaise. L’objectif était de donner un avis « historique » sur la situation, sous forme d’une expertise. Mais qu’en est-il réellement de cette « expertise » ? Dans les pages du livre de Dalberto, une question cruciale se pose : est-il vraiment un expert impartial, ou un simple « imposteur » au service d’une version officielle des faits ?
Une expertise biaisée ?
Jacques Charpy, ancien directeur des archives de l’AOF (Afrique Occidentale Française), a été choisi pour son expérience en matière de documentation coloniale. Cependant, il n’était ni un spécialiste de la Casamance, ni un chercheur ayant approfondi les réalités contemporaines de la région. Charpy n’a en effet pas cherché à rencontrer les acteurs politiques locaux du mouvement indépendantiste du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamance), ni même à explorer les archives privées ou les sources orales. Son analyse s’est limitée aux archives officielles françaises, celles issues du colonisateur, celles qui, par définition, ont été écrites du point de vue des autorités coloniales et non des Casamançais.
Dans ses conclusions, Charpy énonce deux propositions fondamentales : d’abord, que « la Casamance n’existe pas en tant que territoire autonome avant la colonisation », ensuite, que « les territoires situés entre la Gambie et la Guinée-Bissau ont toujours été administrés par le gouverneur du Sénégal ». Des assertions qui résonnent comme une condamnation historique de la revendication autonomiste de la région et qui, pour l’État sénégalais, viennent clore le débat. Un « verdict sans appel », selon le journal pro-gouvernemental Le Soleil, qui publie le rapport à l’issue de sa présentation.
Mais ce « verdict » s’est heurté à une réaction vigoureuse et sans compromis. Diamacoune, leader historique du MFDC, réplique fermement à Charpy, en le qualifiant de « faux-témoin » et de « prétendu expert » dans son contre-témoignage. Diamacoune, toujours en résidence surveillée, rejette l’analyse coloniale de Charpy et dénonce une nouvelle fois l’inaction de la France face à la cause casamançaise. Selon lui, la France a « démissionné depuis 1983 » de ses responsabilités morales et politiques vis-à-vis de la région, en se dissimulant derrière des rapports historiques écrits par des « imposteurs » comme Charpy, plus préoccupés de plaire à l’État sénégalais que de restituer la vérité historique.
Une guerre des récits
La publication de ce livre et les révélations qu’il contient ne viennent pas seulement rappeler l’importance de réécrire l’histoire de la Casamance sous un angle plus diversifié. Elles mettent en lumière une guerre des récits : celui des autorités coloniales et républicaines d’un côté, et celui des acteurs locaux, des Casamançais eux-mêmes, de l’autre. Le témoignage de Charpy, plus qu’une simple analyse historique, semble être une tentative d’officialiser la vision d’un Sénégal unifié et centralisé, tout en écartant une fois de plus la question de l’autonomie casamançaise. Mais peut-on réellement se permettre de conclure l’histoire de la Casamance avec un tel filtre, celui de l’ancienne puissance coloniale ?
La question reste ouverte et, en réalité, la publication de L’Idée de la Casamance autonome n’a fait qu’intensifier les débats. Au-delà du simple défi intellectuel que représente l’étude des archives, il s’agit d’une invitation à regarder l’histoire sous des angles multiples, à se défaire des récits écrits par les vainqueurs, et à laisser la parole aux oubliés du passé.
Un témoin démasqué, mais des questions sans réponse
La France, en désignant Jacques Charpy comme témoin en accord avec Abdou Diouf dans le cadre du cessez-le-feu de 1993, a-t-elle voulu réellement jouer un rôle neutre et historique ? Ou n’a-t-elle pas, au contraire, cherché à préserver sa propre version de l’histoire casamançaise, celle d’un territoire sénégalais régi par des frontières tracées par la colonisation ?
Aujourd’hui, les Casamançais continuent de revendiquer une autonomie qu’ils estiment avoir été négligée et ignorée, d’abord par le colonisateur, puis par l’État sénégalais. Le témoignage de Charpy, loin de résoudre la question, la ravive. En démasquant les limites de cette expertise, Séverine Awenengo Dalberto ne se contente pas de raconter l’histoire de la Casamance. Elle invite à un questionnement plus profond sur la manière dont l’histoire est écrite, par qui, et dans quel but.
Le véritable défi reste donc à l’horizon : la réécriture de l’histoire de la Casamance, non plus à travers le prisme de l’imposture, mais en écoutant enfin les voix de ceux qui, depuis des décennies, luttent pour faire entendre leur vérité.
Contribution Almamy Balandine Sonko – Enseignant
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