Casamance : Extrait (4) de la conférence de l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor tenue à la Chambre de Commerce de Dakar le samedi 23 août 1980

Après un rappel de quelques dates de nos jalons historiques, nous résumerons le contenu du message de la reine Aline Sitoé DIATTA, puis, nous dirons un mot de quelques figures féminines de la résistance Casamançaise dans le CASA, enfin une brève conclusion générale terminera notre exposé.
Voici donc un rappel :
1903 : Le blanc achève d’occuper le CASA. Il s’installe à OUSSOUYE, la Capital Religieuse et Politique. L’Administration Coloniale confisque à son profit tout le pouvoir politique dévolu au Roi et au Conseil de la Nation Exil sans retour du Roi de OUSSOUYE, Sihalébe DIATTA, originaire du village de KAHINDOE. Le Grand Prêtre de OUSSOUYE, Diamuyo DIATTA, desservant du grand fétiche « DIANDE« , organisme la résistance active ou passive Les blancs ne relatent tous leurs échecs en Casamance dans leurs archives. Le CASA plie et ne rompt pas.
1920 : Une vingtaine d’années après, la France sort victorieuse d’une guerre : « La Grande Guerre« . Avec le concours des fils de la Casamance, tombés par certains au front, la France vient de chasser l’envahisseur, l’oppresseur : Vive la liberté ! Vive l’indépendance !
Mais, cette même année, la France achève d’imposer au CASA son joug colonial. Toute la machine colonial est en place, prête à marcher te à frapper aveuglement Ce qu’elle n’accepte pas sur son territoire métropolitain, parce que mauvais, elle trouve bon de l’imposer au CASA. Marianne III, précisions la troisième république Française, se présente au pays Flup comme nos rois, avec ses attributs : tenant d’une main la coq Gaulois, et, de l’autre, la Francisque, tandis que le Bonnet Phrygien recouvre sa tête.
La tâche est lourde au pays des rois Ahumusel et Sihalébe ! En cette même année 1920, voit le jour HER, autrement dit CABROUSSE, dans le quartier de NIALOU, celle qui sera Aline Sitoé DIATTA, reine de CABROUSSE. Le CASA plie et ne rompt pas. Il en sera sans cesse ainsi. Il attend toujours son heure : elle finit toujours par sonner.
Donc 1920, fin de la « Pacification« , naissance de Aline Sitoé DIATTA
1940 : Vingt ans après la « Pacification« , La France est vaincue. Elle goûte à l’amertume du fruit qu’elle faisait savourer aux populations du CASA. Le colonisateur est colonisé. Une main signe l’armistice. Une élève le défi et lance son fameux appel à la résistance. La France a le droit de résister à l’Allemagne, mais pas la Casamance à la France ! Deux poids et deux mesures !
Vers cette même année 1940, se produisent les premières « visions » d’Aline Sitoé DIATTA. Elle dit également entendre ses « voix ». Le CASA bouge. Le CASA dit « NON! » à l’administration colonialiste.
On connaît le reste. Comme pour le roi Sihalébe, tout se termine, pour la reine Aline Sitoé DIATTA, par exil sans retour. C’étaient les 28 et 29 janvier 1943.
1960 : Vingt ans après l’appel du 18 juin 1940, un peu moins après l’exil de la reine Aline Sitoé DIATTA de CABROUSSE, tout le CASA est présent, de corps ou d’esprit, au « Monument« . Ce monument est tout simplement la place érigée par l’armée colonialiste chargée de réprimer la révolte, la résistance du CASA: Sur cette place de OUSSOUYE, un compatriote, bien plus un parent de la reine Aline Sitoé DIATTA préside les fêtes de la proclamation, puis celle du premier anniversaire de l’indépendance nationale rappelons que le président DIA avait rendu aux habitants d’Efok leur « KABISOE » ou Tam-tam de guerre, confisqué vingt ans auparavant par l’administration coloniale pendant la guerre de répression de la résistance du CASA.
Ce Tam-tam, placé sur la véranda du « bureau » administratif, servait à annoncer les débuts et fins des heures de travail journalier des « fonctionnaires » Il avait ainsi remplacé un petit Tam-tam portatif, le fameux « KANUMBA » des années 1938 à 1943, immortalisé par la trop célèbre chanson que tout le monde connaît:
» O la bome, la bome! Alolum av ata husuy o la bome: KANUMBA e wele o »!
(« Il danse ! Il danse ! Le Blanc de HUSUY (Ousouye)! Il danse ! KANUMBA (son tam-tam) Retentit ! »)
Un autre refrain était plus en vogue à EYUN :
» Aloli dyi koyle Alolum av ata Husuy o Aloli dyi koylol mayin« ,
(« Nous avons peur du Blanc de Husuy, Et avons peur de lui pour rien« ).
Combien parmi vous savent-ils que ce sont là des chants de la résistance Casamançaise ? Nous autres de la résistance passive, les hurlions à tue-tête, le jour comme la nuit, dans tous les villages du CASA, au son des gros » EEMBELE« , pur faire la pige à un administrateur colonial qui interdisait « l’EKONKON » au CASA, parce que » stimulant à la résistance.
Excusez-moi le mot : j’ai » gueulé » ces refrains jusqu’au mon départ de chez moi pour la fondation et l’ouverture du Pré séminaire à OUSSOUYE les 1er et 6 Novembre 1939.
A l’âge de 8 ans, devant les incendies des cases, les razzias des troupeaux, de la volaille et autres crimes des colons et de leurs valets noirs, chaque enfant du CASA avaient déjà hautement la conscience d’avoir à défendre selon ses moyens une patrie Casamançais. Car :
Casamançais je naquis,
Casamançais je suis,
Casamançais je mourrai.
Et pas autre chose, croyez-moi !
Toujours est-il que, lorsque les habitants d’Efok entendaient à OUSSOUYE retentir leur « KABISOE« , les fils de ceux qui administrèrent de si bonnes raclées à maints officiers Français, versaient d’abondantes larmes.
Quel impact pouvait avoir une telle indépendance nationale avec ses effets, sur ces populations du CASA dites « primitives« ?
Le plus sauvage n’est pas toujours celui que l’on pense ! En tous cas, la Casamance ne veut de n’importe qu’elle indépendance Elle sera celle qui aura voulue Elle-même sera celle qui aura voulu pour elle-même. Une connaissance de message d’Aline Sitoé DIATTA peut nous aider à mieux apprécier cet impact.
Kondiarama : Extrait numéro (4) de la conférence de l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor tenue à la Chambre de Commerce de Dakar le samedi 23 août 1980
Commentaires (2)
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Nampoti_Casa
Le récit de la CASAMANCE, tel que peint dans ce texte, est une fresque vibrante de résistance, de dignité et d’aspiration inextinguible à la liberté. De 1903 à 1960, à travers les exils forcés de figures comme le roi Sihalébe Diatta et la reine Aline Sitoé Diatta, le KASSA – ce pays des rois et des âmes indomptées – plie sous le jeu colonial, mais jamais ne rompt. Cette résilience, portée par le souffle des tam-tams comme le « Kabisoe » ou le « Kanumba », par les chants de révolte lancés dans l’ombre des villages, et par les visions prophétiques d’une héroïne comme Aline Sitoé, est une leçon universelle : l’indépendance véritable ne se donne pas, elle se conquiert.
L’histoire ici racontée expose avec une clarté brutale l’hypocrisie d’un colonisateur qui, en 1920, célèbre la liberté retrouvée face à l’envahisseur allemand tout en écrasant sans scrupule celle des peuples qu’il domine. La France, drapée dans les atours de Marianne et brandissant le coq gaulois, refuse au KASSA ce qu’elle revendique pour elle-même : le droit sacré de dire « non », de résister, de vivre selon ses propres lois. Cette duplicité, ce « deux poids, deux mesures », est la marque d’une oppression qui ne peut prétendre à aucune légitimité morale. Car si la France a eu son 18 juin 1940, la CASAMANCE, elle, a eu ses visions, ses voix, ses refus portés par Aline Sitoé Diatta – une résistance tout aussi légitime, tout aussi héroïque, mais étouffée dans l’exil et l’oubli.
L’indépendance proclamée en 1960, bien que célébrée au son du « Kabisoe » retrouvé, résonne comme une victoire au goût américain pour la Casamance. Ce n’était pas l’indépendance choisie, mais une indépendance octroyée, encadrée par les vestiges d’une administration coloniale qui avait incendié des cases, razzié des troupeaux et réduit des rois en exil. Le texte le dit avec force : « La Casamance ne veut pas de n’importe quelle indépendance. Elle sera celle qui aura voulu pour elle-même. » Cette phrase est un cri, un manifeste, un appel à une souveraineté authentique, ancrée dans l’identité profonde d’un peuple qui, dès l’enfance, apprenait à défendre sa patrie face aux crimes des colons et de leurs « valets noirs ».
Aujourd’hui, l’héritage d’Aline Sitoé Diatta et des résistants de la Casamance nous interpelle. L’indépendance ne saurait être un simple drapeau hissé ou un tam-tam rendu ; elle doit être une rupture définitive avec les chaînes du passé, une affirmation pleine et entière de la volonté d’un peuple à écrire son propre destin. La Casamance, qui « attend toujours son heure », nous rappelle que la lutte pour la liberté est un feu qui couve sous la cendre, prêt à s’embraser lorsque l’heure sonnera. Et elle sonnera, car un peuple qui chante sa résistance, qui pleure ses héros et qui refuse de pince jusqu’à rompre, ne peut être éternellement tenu en laisse.
Casamançais ils naquirent, Casamançais ils vécurent, Casamançais ils mourront – et dans cette fidélité à eux-mêmes réside la promesse d’une indépendance qui ne sera pas un cadeau empoisonné, mais une victoire arrachée par le courage et la mémoire. Que le message d’Aline Sitoé Diatta continue d’éclairer ce chemin : La CASAMANCE mieux mérite qu’une liberté de façade ; il mérite la liberté qu’il aura lui-même forgée.
Bapoulo
« L’indépendance de la Casamance n’est pas une simple revendication régionaliste, c’est un cri légitime pour la justice, l’identité et la liberté d’un peuple trop longtemps étouffé sous le joug d’un centralisme oppressif. Face à des décennies de marginalisation, de promesses creuses et d’une répression qui ne dit pas son nom, les Casamançais ne demandent pas la charité d’un État lointain, mais le droit inaliénable de façonner leur destin. L’histoire nous enseigne que les nations naissent dans la lutte, et la Casamance,avec sa culture, ses terres et de sa résilience, a déjà prouvé qu’elle mérite bien plus qu’un strapontin dans un système qui l’ignore. L’autodétermination n’est pas une option, c’est une nécessité – et il est temps que le monde écoute. »