Casamance : l’écho de l’indépendance – quand l’âme d’une terre rencontre les chants d’autres peuples en lutte (Alan Murray, Correspondant Ecossais du Highland)

Sous le ciel opaque de Ziguinchor, les vents humides de l’Atlantique charrient bien plus que les senteurs de mangrove : ils murmurent une histoire longue, douloureuse, persistante. Celle d’un peuple qui, depuis des décennies, réclame une chose simple, ancienne, presque sacrée — le droit de décider pour lui-même. La Casamance n’est pas une province simplement enclavée entre deux frontières géographiques ; elle est une conscience territoriale que le Sénégal n’a jamais vraiment voulu admettre.
Je suis venu ici en tant qu’Écossais, journaliste, indépendantiste — non pas pour comparer mécaniquement les douleurs et les rêves, mais pour écouter, ressentir, tracer les lignes invisibles qui relient les territoires écartelés par les frontières de l’histoire. De l’Écosse à la Casamance, en passant par le Québec, la Catalogne, le Kurdistan ou le Sahara Occidental, se dessine une constellation de peuples aux aspirations étouffées, de cultures enracinées réclamant la reconnaissance pleine et entière de leur existence politique.
Une même quête : la dignité de choisir
Ce qui frappe d’abord en Casamance, c’est le contraste entre la richesse des paysages et le silence politique qui les entoure. On parle peu du conflit ici — ni au Sénégal, ni ailleurs — comme si cette lutte n’existait que dans les marges. Pourtant, depuis sa création en mars 1947, le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) porte cette revendication d’indépendance avec une constance remarquable, malgré les scissions internes, la répression étatique sénégalaise, les accords ambigus, les espoirs trahis.
Les indépendantistes casamançais, comme les Kurdes d’Irak ou de Turquie, sont les oubliés d’un monde où la légitimité politique semble réservée aux puissances centrales. Mais dans leurs yeux, j’ai retrouvé l’éclat familier de ceux qui croient encore en la possibilité d’une communauté souveraine. Ce même éclat que j’ai vu à Barcelone, lors du référendum catalan réprimé avec brutalité. Ce même éclat dans les rues de Montréal lors des manifestations pour la souveraineté du Québec. Ce même feu que je sens encore vibrer dans les Highlands d’où je viens.
Entre droit et realpolitik : les peuples pris en étau
La communauté internationale, souvent prompte à brandir les grands principes démocratiques, applique à la question des indépendances un prisme cynique. Là où l’autodétermination est permise, c’est qu’elle ne dérange pas les intérêts établis. L’Écosse, en 2014, a eu droit à un référendum pacifique, encadré par l’État britannique. Mais ce précédent, loin d’ouvrir la voie, semble avoir refermé les portes pour d’autres. Le Québec, malgré deux consultations populaires, n’a jamais obtenu la reconnaissance internationale de sa volonté. La Catalogne, elle, a été matraquée. Les Kurdes d’Irak, trahis. Les Sahraouis, ignorés.
Et la Casamance, elle ? Elle est là, patiente, digne, méconnue.
La résistance par la culture, la mémoire et le temps
Ce qui sauve les peuples sans État, c’est leur capacité à se raconter. À maintenir vivantes leurs langues, leurs rythmes, leurs symboles. Ici, les chants diola sont une archive orale de la résistance. Les danses ne sont pas folkloriques, elles sont politiques. La forêt est un sanctuaire, le fleuve une frontière symbolique.
Dans cette lutte, les armes ont parfois parlé. Trop. Mais derrière les affrontements, une autre guerre se mène : celle de la mémoire, de la narration, du droit à exister en dehors de la centralité imposée. C’est là que l’Écosse et la Casamance se rejoignent, malgré les océans : dans cette obstination à dire nous sommes, même si on nous nie.
Vers une convergence des luttes ?
Il ne s’agit pas de fusionner les causes, ni de plaquer sur la Casamance les récits d’autres luttes. Chaque territoire a ses douleurs, ses spécificités. Mais il est temps de tisser un réseau de solidarité morale, intellectuelle, politique entre ces peuples. Il est temps de reconnaître que l’autodétermination n’est pas une menace, mais une forme de maturité collective. La démocratie ne peut être pleine si elle ne permet pas le droit au départ.
En quittant Ziguinchor, je pense à ce proverbe diola qu’on m’a soufflé : « Le fleuve ne refuse jamais la pirogue, mais il sait où elle va. » La Casamance n’a pas dit son dernier mot. Comme l’Écosse, elle attend son moment. Ce jour où le fleuve du temps acceptera la pirogue de l’histoire.
Alan Murray, Correspondant en Casamance du Journal Ecossais du Highland
Commentaires (5)
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Katakalousse
je crois que les écossais ont compris que les sénégalais détestent les Casaçais.
Nampoti_Casa
Alan est passé au quartier de Tilène de Ziguinchor avec 6 autres Ecossais et ont tenu des entretiens avec toutes les couches de la Casamance. Ils ont constamment parler de nouvelles actions entre les deux pays. J’espère qu’ils sont bien retournés chez eux. Bonne continuation. La Casamance vous sera reconnaissante.
Zeus
OUI !!!! POURVU QUE CELA CONTINUE JUSQU’A L’INDEPENDANCE DE L’ECOSSE ET DE LA CASAMANCE ET BIEN APRES.
Essamaye Bignona
Je vois que les relations avec les écossais sont profondes, enracinées, fraternelles et solides. C’est un bon travail qui est accompli maintenant il faut multiplier les actions de ce genre.
Safi
bon témoignage des écossais qui s’identifient de la lutte de la Casamance. merci pour l’article