Casamance : Retour sur les infiltrations et trahisons au sein du MFDC

En plongeant dans l’extrait du livre de Séverine Awenengo Dalberto, L’idée de la Casamance autonome, on découvre un chapitre méconnu mais déterminant de l’histoire politique de la Casamance, cette province autonome dont les aspirations indépendantistes concordent de résonner aujourd’hui. À travers une analyse fine des dissensions au sein du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) dans les années 1950, l’auteur a rencontré en lumière les luttes internes, les compromissions et les trahisons qui ont façonné le destin de ce mouvement et, par extension, les espoirs d’une Casamance souveraine.
Une jeunesse dissidente face à un conservatisme naissant
Tout commence au congrès de Bignona, un tournant dans l’histoire du MFDC. Une nouvelle génération de militants, imprégnée de syndicalisme, de marxisme et d’idéologie panafricaine, et fait entendre sa voix. Ces jeunes, critiques envers la modération du Bloc démocratique sénégalais (BDS) et du MFDC face au colonialisme, rejettent ce qu’ils perçoivent comme un renoncement aux distinctifs progressistes des années 1940. Pour eux, le MFDC, autrefois fer de lance des aspirations casamançaises, s’est embourgeoisé, devenant un conservatisme à abattre.
Au cœur de cette mouvance, une figure émerge : Guibril Sarr. Instituteur, syndicaliste de gauche et membre fondateur du MFDC, Sarr incarne une passerelle entre cette jeunesse révoltée et les anciens cadres du mouvement. Élu en 1952 sur la liste MFDC-BDS, il évolue dans la sphère des intellectuels marxistes et de l’Union démocratique sénégalaise (UDS), sans jamais y adhérer formellement. Pourtant, dès 1956, le MFDC disparaît comme entité autonome, certains dirigeants trahissant et s’intégrant pleinement au BDS. Que s’est-il passé ?
Une fusion controversée et des promesses cachées
L’extrait souligne un mystère : pourquoi les dirigeants historiques du MFDC, tels qu’Ibou Diallo et Émile Badiane, ont-ils subitement abandonné l’idée d’autonomie pour s’aligner sur le BDS de Léopold Sédar Senghor ? Aucune explication claire n’est donnée au congrès de Bignona. Les promesses d’intégration au sein du bureau exécutif du BDS, évoquées comme condition de cette fusion, semblent bien maigres face à l’ampleur du revirement. Pourtant, des hypothèses émergent. À Saint-Louis, Senghor, craignant une rupture définitive avec la Casamance, aurait fait des concessions : cooptation des cadres du MFDC dans les instances dirigeantes et, pour Ibou Diallo, un poste de sénateur en 1956.
Pour Yoro Kandé, un autre cadre du MFDC, cette fusion est une trahison. En 2002, il confie avec amertume : « Senghor nous a trahis, en partie. Mais les dirigeants, Emile Badiane et Ibou Diallo, avaient des promesses. Alors, ils nous ont fait marcher comme cela. » Jeune militant à l’époque, Kandé a choisi pourtant de se taire et de jouer le jeu de l’intégration, par respect pour ses aînés et pour préserver sa position d’élu. D’autres, comme Guibril Sarr et Doudou Sarr, refusent ce compromis et prennent une voie différente.
L’émergence d’une Casamance indépendante
Au lendemain du congrès de Bignona, Guibril Sarr fonde le MFDC-indépendant avec des membres de la section ziguinchoroise. En août 1954, un appel rémanent est lancé par Khaly Dia, riche commerçant et leader du Rassemblement des Casamançais de Dakar. Dans cet « Appel aux Casamançais », Dia dénonce la « honteuse trahison » des dirigeants du MFDC et appelle à l’union pour défendre les intérêts de la Casamance, au-delà des divisions partisanes. « Les partis politiques ne s’intéressent à la Casamance que pour s’assurer des voix », écrit-il, plaidant pour une politique centrale sur la primauté des besoins casamançais.
Cet appel jette les bases du Mouvement autonome de la Casamance (MAC), officialisées en 1955 lors d’un congrès à Marsassoum sous la houlette de Sarr. Malgré l’opposition de Diallo et Badiane, qui tentent d’interdire cette initiative via l’administration coloniale, le MAC voit le jour, porté par une poignée de jeunes instituteurs et commis, souvent issu de l’UDS et du MFDC dissident. Si le mouvement reste modeste – une vingtaine de membres approuvant ses statuts –, il symbolise une rupture et une nouvelle aspiration à l’autonomie.
Un héritage ambivalent
L’histoire relative par Dalberto révèle les fractures profondes qui ont traversé le MFDC dès ses origines. Entre ambitions personnelles, pressions politiques et motivations trahis, le mouvement a vu s’étioler son rêve d’une Casamance souveraine au profit d’une intégration dans le Sénégal postcolonial. Pourtant, les graines semées par les dissidents – Guibril Sarr, Khaly Dia et leurs compagnons – continuent d’inspirer les luttes actuelles pour l’indépendance de la Casamançaise.
En 2025, alors que les tensions entre Ziguinchor et Dakar persistent, cet extrait nous rappelle une vérité essentielle : la quête de liberté d’un peuple ne s’éteint pas sous le poids des compromis ou des trahisons. Elle renaît, portée par ceux qui refusent de se soumettre à des « colons ». La Casamance, hier comme aujourd’hui, reste un symbole de résistance et d’espoir pour tous les peuples en lutte.
ARDiallo
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