Guinée-Bissau : Un décret présidentiel controversé avance les élections, l’opposition dénonce une manœuvre politique

Dans un contexte de crise politique persistante, le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embalo a annoncé, par décret publié vendredi 7 mars, le report des élections présidentielles et législatives au 23 novembre, soit une semaine plus tôt que la date initialement prévue du 30 novembre. Cette décision, justifiée par le chef de l’État comme un moyen de respecter le cadre légal prévoyant des élections entre le 23 octobre et le 25 novembre, a immédiatement suscité des réactions vives au sein de l’opposition, qui y voit une manœuvre pour prolonger indûment le mandat présidentiel.
Une concertation sans l’opposition : un consensus en trompe-l’œil
Selon le décret, cette décision a été prise à l’issue d’une concertation avec plusieurs partis politiques, à l’invitation du président Embalo. Cependant, cette réunion s’est tenue sans la participation de la principale coalition d’opposition, Pai Terra Ranka, dirigée par Domingos Simões Perreira, ancien Premier ministre et figure de proue de l’opposition. Ce dernier a appelé au boycott de cette consultation, qualifiant la démarche du président de « diversion pour gagner du temps » et de tentative de « détourner l’attention » des véritables enjeux politiques.
Pour l’opposition, le mandat du président Embalo a officiellement pris fin le 27 février 2024, cinq ans après son investiture. Bien qu’une décision de la Cour suprême ait repoussé l’échéance au 4 septembre, cette prolongation est perçue comme illégitime par les détracteurs du régime. « Le président n’a plus de mandat. Il tente désespérément de se maintenir au pouvoir en manipulant le calendrier électoral », a déclaré un porte-parole de Pai Terra Ranka.
Un climat politique tendu
La Guinée-Bissau traverse une crise politique profonde, marquée par des tensions croissantes entre le pouvoir en place et l’opposition. Le pays, connu pour son instabilité chronique depuis son indépendance en 1974, peine à consolider ses institutions démocratiques. Les accusations de corruption, de népotisme et de mauvaise gouvernance ont alimenté un climat de défiance envers les autorités actuelles.
L’annonce de la candidature d’Umaro Sissoco Embalo à sa propre succession, faite en début de semaine, n’a fait qu’attiser les tensions. Pour ses opposants, cette déclaration est prématurée et illégale, compte tenu de la fin supposée de son mandat. « Embalo n’a plus aucune légitimité pour se présenter. Il est temps que le peuple bissau-guinéen puisse choisir librement son dirigeant, sans manipulation ni intimidation », a affirmé un militant de l’opposition.
Une communauté internationale en alerte
La situation en Guinée-Bissau suscite également des inquiétudes au sein de la communauté internationale. Les partenaires régionaux, dont la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest), suivent de près les développements politiques dans le pays. Les appels à un dialogue inclusif et à des élections libres et transparentes se multiplient, mais jusqu’à présent, les efforts de médiation n’ont pas abouti à un consensus entre les parties.
Un avenir incertain
Alors que la date des élections est désormais fixée au 23 novembre, les tensions politiques risquent de s’exacerber dans les mois à venir. L’absence de la principale coalition d’opposition dans le processus de décision soulève des questions sur la crédibilité du scrutin à venir. Pour de nombreux observateurs, la Guinée-Bissau se trouve à un carrefour critique : soit le pays parvient à organiser des élections inclusives et transparentes, soit il risque de sombrer dans une nouvelle période d’instabilité, avec des conséquences désastreuses pour sa population déjà éprouvée.
Dans ce contexte, la voix de l’opposition, bien qu’étouffée, reste déterminée à défendre les principes démocratiques. « Nous ne laisserons pas ce régime confisquer la volonté du peuple », a déclaré Domingos Simões Perreira. Reste à savoir si cette détermination suffira à contrecarrer les manœuvres d’un pouvoir accusé de vouloir se maintenir coûte que coûte.
Balanta Mané