• Depuis 1990, il n’a jamais existé de processus de paix en Casamance.

• C’est l’impasse totale, toutes les démarches des messieurs Casamance sont demeurées stériles.

• Aucun acteur n’est en train de négocier en douce en faveur d’un quelconque rapprochement entre l’Etat du Sénégal et le MFDC.

• Les « femmes du bois sacré » de la Casamance n’existent pas, c’est une invention des « femmes du billet sacré ».

Interview exclusive du Journal du Pays

René Capain Basséne vous êtes journaliste écrivain et fin observateur de la crise casamançaise ; pouvez-vous en ce début d’année 2016 nous dresser le bilan de la gestion du processus de paix en Casamance ?

J’ai pour ma part invariablement soutenu que depuis 1990 année des premiers pourparlers ; il n’y a jamais eu de processus de paix en Casamance.

Comment qualifiez-vous alors toutes les démarches dont certaines ont abouti à des accords de cessez le feu et même à des accords de paix entre le gouvernement Sénégalais et le MFDC ?

C’est fort possible que je puisse me tromper dans ma position, mais je dénie l’existence d’un processus de paix parce que depuis 1990 et malgré les successions de régimes à la tête du Sénégal, on assiste à un éternel recommencement dans la tentative de gestion du processus de paix avec une succession de facilitateurs ou messieurs Casamance nommés et dégommés au grés des autorités étatiques et qui sur le terrain se donnent des coups bas. Ils ont toujours évolué dans l’anarchie ; la concurrence, et la calomnie avec chacun sa méthode et ses activités planifiées sans au préalable en avoir discuté avec le MFDC. Chacun ficèle son programme avec son bailleur de fonds et va vers « son MFDC » pour le convaincre à adhérer dans ce qu’il souhaite dérouler comme activités.

Pour leur visibilité aux yeux de l’opinion, des bailleurs de fonds et surtout des autorités, ils se livrent à une bataille de communication en diffusant des messages qui ont fini par désorienter les populations. Avec cette cacophonie générale de leur part à travers les médias, on a de la peine à connaitre exactement qui est qui ? Qui fait quoi ? Bref on ne sait pas qui est le meilleur parmi ce groupe de meilleurs en recherche de paix.

Je ne parlerai de processus de paix et cela n’engage que moi le jour où dans le cadre de la recherche de la paix les deux parties arriveront de manière consensuelle à s’accorder autour d’un contenu et d’une vision bien précis ; le jour où l’Etat et le MFDC s’accorderont sur une feuille de route bien définie sur la base de laquelle seront déroulées tout un ensemble d’activités en suivant différentes étapes jusqu’à l’obtention d’une issue heureuse au conflit.

Vous avez parlé de cacophonie qui a fini par désorienter les populations, pouvez-vous nous orienter en nous disant où exactement se situe en fin 2015 les démarches de recherche de paix puisque vous réfuter le terme processus de paix ?

Pour ce qui concerne l’année 2015 toutes leurs démarches sont demeurées stériles. Nous sommes de nos jours dans une situation d’impasse jamais vécue. En vérité, contrairement à certaines déclarations, absolument rien n’a bougé malgré la très relative accalmie qui prévaut sur le terrain. Et j’en profite pour préciser qu’aucun parmi les acteurs n’est en train de mener de quelconques négociations en douce. C’est de fausses rumeurs. C’est une pure contre vérité.

2015 est l’année où quasiment et cela pour la première fois de l’histoire toutes les factions du MFDC ont rompu le contact avec les messieurs Casamance. Depuis 2014 pour certains et depuis plusieurs mois pour d’autres et j’espère qu’ils confirmeront mes propos, aucun d’entre eux n’a plus accès « à son maquis » ; aucun d’entre eux n’est non plus en contact avec la moindre faction d’une aile politique dans le cadre de prétendues négociations. C’est le statu quo total. C’est une année stérile pour les facilitateurs si je peux m’exprimer ainsi.

Pourquoi utilisez-vous monsieur Basséne René Capain ce terme de très relative accalmie alors que 2015 est considérée comme une des plus paisibles années en ce qui concerne le conflit en Casamance ?

Je parle toujours sur la base de faits et je m’en vais à cet effet, vous en citer quelques exemples d’évènements phares : les affrontements répétitifs entre militaires et combattants du MFDC dans le nord Bignona dont précisément celui de Djondji entre les mois de mars et avril ; les violents affrontements à l’arme lourde entre l’armée et les hommes de César Atoute Badiate en avril 2015 d’abord au niveau du parc de la basse Casamance, puis au niveau du village d’Emaye. Ces événements ont marqué la reprise des armes par la faction de Kassole qui les avait déposées depuis l’an 2000. Dans la région de Sedhiou il y a eu l’épisode de la prise d’otage des jeunes coupeurs de bois dans la forêt de Sassamba en juillet . Il y a également l’opposition du MFDC à travers des communiqués de César Atoute puis de Salif Sadio sur l’opposition du mouvement à l’exploitation du Zircon dans le Niafrang. Du coté des populations civiles, il y a eu des victimes par mine dans le Oulampane. La dernière victime en 2015 est un habitant du village de Emaye qui a retrouvé mort au mois d’Aout aux environs du Parc de la basse Casamance par faute d’avoir été secouru à temps. Il y a eu des braquages sanctionnés par des prises de véhicules et de plusieurs motos « Djakarta ». Une jeune fille a été violée sur l’axe Bignona-Dakar à la suite d’un braquage entre Août et septembre. Il y a eu l’arrestation très médiatisée du chef de village de Boukitingho dans le département d’Oussouye, je termine par l’ultimatum de l’ex ministre de l’intérieur de la guinée Bissau qui en son temps avait donné 72heures au MFDC pour retirer une de ses bases jugée être implantée en terre guinéenne etc… c’est pour dire qu’il s’est passé beaucoup de choses en 2015 malgré l’accalmie. C’est d’ailleurs la combinaison de tous ces éléments qui font que j’ai utilisé le qualificatif de relative et même très précaire accalmie. Je termine par rappeler que sur le terrain militaires et combattants du MFDC sont chacun dans ses cantonnements, lourdement armés, s’observant minutieusement et prêts à agir ou réagir au moindre incident. Ce n’est pas de cette paix que nous voulons. C’est pourquoi je répète que 2015 a été un échec entier dans le cadre de recherche de la paix en Casamance.

Du coté des femmes du bois sacré, y a-t-il eu des résultats dans leurs démarches ?

Ce terme de « femmes du bois sacré » porte en lui une très grande confusion. Je précise que je fais la distinction entre les « femmes des bois sacrés », qui ont toujours existé dans les différents villages et continuent à jouer leur rôle traditionnel qui n’a rien à avoir avec la guerre ; les « femmes du bois sacré » qui n’ont jamais existées et enfin les « femmes du billet sacré » qui manipulent l’opinion en créant le concept de « femmes du bois sacré » pour des raisons dont elles sont seules à maitriser.

Je suis frustré par le fait que cette histoire de femmes du bois sacré soit en train de déteindre le caractère sacré des femmes adeptes de la religion traditionnelle. C’est à la limite une profanation du culte traditionnel. C’est à l’image du Kankourang manding dont le caractère mystico-sacré et son rôle dans la société manding a été dénaturé par des individus provenant d’autres cultures et qui se servent du masque de ce protecteur de société et d’initiés et à des fins folkloriques et commerciales. Il faut qu’on trouve les moyens d’arrêter ce folklore. Les activités que mènent sous financement les soit dites « femmes du bois sacré de la Casamance » n’ont rien de commun d’avec ce que font les femmes dans leurs bois sacrés respectifs. Ceux qui savent de quoi je parle ne me laisseront pas mentir.

Qu’on nous précise qui sont-elles? Quel rôle elles auraient joué avant l’éclatement du conflit en 1982 ? Où se trouverait ce puissant bois sacré qui fédérerait tous les bois sacrés des femmes de la Casamance ?

On explique que ces femmes ont joué un rôle capital dans la période d’avant l’éclatement du conflit et qu’elles sont à l’origine de tous les pactes noués avec les fétiches dans le cadre de cette crise qui sévit en Casamance qu’en dites-vous ?

C’est parfois décevant de voir des individus ou groupes d’individus torpiller l’histoire pour des objectifs inavoués. En milieu traditionnel, il y a deux événements où les femmes ne sont impliquées qu’au tout dernier moment. C’est l’organisation de la cérémonie du Boukout et la préparation de la guerre. Ce sont des activités viriles pour lesquelles les femmes n’ont jamais été associées à la prise de décision. Les préparatifs mystiques d’avant la marche du 26 décembre 1982 ont débutées en 1977 soit Cinq ans avant la marche. Les femmes n’ont été impliquées qu’en Mai 1982. Comment peuvent-elles dénouer des pactes dont elles ne savent absolument rien de ce qui a été fait ? D’ailleurs ce n’était pas toutes les femmes de la Casamance qui ont été contacté. Ce n’était non plus pas des femmes « du bois sacré ». C’était un petit groupe de femmes qui partageaient entièrement le combat politique prôné par les tenants à l’indépendance et instigateurs de la marche. C’était des femmes politiques au même titre que les hommes. On ne peut pas les réduire au simple rôle de femmes mystiques. Il est de coutume chez nous, que pour toutes activités même pour un petit examen ou un concours, nos mamans font recours aux mystiques. Pourtant cela ne suffit pas pour les étiqueter de femmes mystiques.

René Capain Basséne, vous êtes auteur de deux livres sur le conflit en Casamance. Pouvez-vous nous dire pourquoi ces livres ne sont –ils pas disponibles dans les librairies au Sénégal ?

Je ne saurais répondre exactement à vos questions sur ce point. Je précise que ces deux livres : L’abbé Augustin Diamacoune Senghor par lui-même et par ceux qui l’ont connu » et « Casamance récits d’un conflit oublié (1982-2014) » ; édités à Paris par Harmattan se vendent bien en Europe et au Canada. J’espère qu’un, jour ils seront correctement vendus au Sénégal.

Cela ne va-t-il pas un peu vous décourager dans votre dynamique de recherche et de production de livre sur le processus la crise casamançaise ?

C’est quand même dommage que ces livres ne soient pas accessibles au commun des sénégalais. Mais cela ne peut pas me décourager dans la mesure où un écrit c’est pour l’éternité. Je vous annonce que mon troisième livre intitulé « Casamance : pour quand la paix ? » est déjà dans le circuit. Il paraitra s’il plait au Bon Dieu dans le premier semestre de l’année 2016.

Votre dernier mot ?

Je profite de l’occasion pour adresser mes vœux les plus sincères à toutes les personnes qui s’intéressent à mes modestes contributions sur la problématique du conflit en Casamance. Je remercie tous ceux qui m’ont témoigné de leur soutien et encouragements face aux menaces que je ne cesse de recevoir à cause de mes écris. De tout mon cœur je souhaite le Bonheur à tout le monde. Que 2016 nous soit douce et légère et qu’il consacre le retour à une paix durable en Casamance.

Que Vive la paix.

Interview exclusive réalisée par Abdou Rahmane Diallo