Casamance: René Capain Bassène dresse le bilan semestriel 2016 du processus de paix
René Capain Bassène livre son bilan sur l’avancée du processus de paix au premier semestre 2016 et revient sur ses relations heurtées avec certains « acteurs de paix ».
Interview accordée exclusivement au Journal du Pays.
Nous avons bouclé le premier semestre de l’année 2016 ; en votre qualité d’observateur du conflit en Casamance, pouvez-vous nous dire monsieur Basséne, où se situe concrètement l’avancée du Processus de paix ?
Je dirai tout simplement que jamais de toute l’histoire du conflit en Casamance, les tentatives éparses de négociations parcellaires avec certaines factions politiques et/ou militaires du MFDC n’ont été aussi « grippées » comme c’était le cas dans le 1er semestre de l’année 2016.
En effet, c’est pour la toute première fois qu’il est constaté une « panne sèche » et « simultanée » de tous les « moteurs » des acteurs de paix ou messieurs Casamance. Ils se sont tout d’un coup et parfois à leur grande surprise vus fermer les portes des maquis, de leurs anciens maquis j’allais dire parce que chacun en avait le sien. Ils ne peuvent plus accéder aux combattants qui par ailleurs constituaient leurs principaux interlocuteurs dans le cadre de leurs activités de négociations.
Depuis octobre 2014 pour les uns et Mai 2015 pour les autres, les combattants ont pris la décision de ne plus recevoir des messieurs Casamance et de ne plus accepter de prendre part à la plus petite activité que ces derniers auront à organiser dans le cadre de la recherche de la paix.
En résumé, le 1er semestre de l’année 2016 semble annoncer le crépuscule des mesdames et messieurs Casamance. Il se caractérise par une situation d’impasse totale pour ce qui concerne les initiatives de recherche de la paix.
Vous semblez catégorique dans vos propos alors qu’en certains niveaux les acteurs de paix ont déclaré être toujours en contact direct avec les combattants avec qui ils sont en train de négocier en douce en faveur d’un retour à la paix, qu’en est –il réellement ?
Je persiste et signe que de nos jours aucun des acteurs parmi les quelques-uns qui avaient accès aux combattants n’est en train de négocier quoi que ce soit avec un quelconque groupe de combattants. Pour discuter avec quelqu’un, il faudrait au préalable qu’il accepte de te recevoir et de t’écouter lui parler. Ce n’est plus le cas. J’espère qu’ils auront l’honnêteté à la fois morale et intellectuelle d’admettre mes propos et de reconnaitre que les combattants leur ont tourné le dos et cela en dépit de leurs multiples tentatives pour faire inverser la situation. C’est ce « revers » qu’ils cherchent à masquer en parlant de « négociations en douceur ».
D’ailleurs est ce que c’est un honneur de leur part de dire qu’ils sont en train de négocier en douce? Il n’y a que les sales deals qui se négocient de cette façon. Pourquoi négocier en douceur ? Que sont-ils en train de négocier sur le dos des populations ? C’est quoi cette méthode clandestine et opaque de recherche de la paix ? Qui sont les garants de ce type de négociations ?
Je crains fort que ces acteurs qui soutiennent être en train de mener des négociations en douce, soient activement en train de manipuler en douce certains de leurs combattants pour arriver à semer la discorde dans le maquis. Qu’ils soient entrain de manœuvrer pour casser la fragile tentative de réunification des factions combattantes MFDC parce que l’une des principales raisons de leur mise à l’écart provient de ce processus de réunification du maquis. Parce que c’est avec un MFDC divisé qu’ils pourront prospérer. L’avenir nous en édifiera.
Souvent vous ramez toujours à contrecourant des déclarations des messieurs Casamance, d’ailleurs nombreux sont les acteurs qui vous traitent de quelqu’un de très mal informé, d’un jeune homme qui fait de l’agitation pour se faire un nom. Qu’en dites-vous ?
Nous sommes en train de parler du conflit en Casamance. C’est pour moi un sujet très sensible et très sérieux. C’est une question de sang versé, de personnes emprisonnées, exécutées, disparues, réfugiées, déplacées, torturées etc… cela dit, je n’ose moralement pas m’aventurer à raconter des contre-vérités pour juste me faire une renommée. Ce serait bâtir une maison sur du sable mouvant. L’opinion n’est pas dupe. Je ne pourrai pas passer tout mon temps à lui mentir. Aussi, j’aimerai souligner que nous ne sommes pas en politique et jamais, je ne m’engagerai dans la logique d’invectives vers laquelle certains acteurs veulent m’orienter. Je ne me laisserai ni distraire ni perturber par des gens dont l’objectif est de me tirer vers le bas.
Comment quelqu’un d’aussi mal informé que moi est-il parvenu à rédiger deux livres sur une problématique dont ils prétendent entièrement maitriser les contours? Qu’attendent- t- ils pour produire des documents contradictoires. Cela favoriserait un avancement des débats et susciterait une meilleure compréhension du conflit au grand bénéfice des lecteurs. Je suis favorable au débat d’idées. C’est pourquoi de façon invariable, j’invite mes détracteurs ou autres grands spécialistes du conflit à s’attaquer à mes propos et non à ma pauvre personne. A utiliser contre moi la force de l’argument et non l’argument de la force et de la calomnie.
En attendant leurs réactions, je réitère mon propos qu’actuellement sur le terrain, les acteurs de paix sont dans l’impasse totale. Non seulement ils ne peuvent plus accéder aux combattants, mais ils sont déclarés persona non grata auprès des membres de l’aile politique extérieure.
Finalement, certains d’entre eux se sont vus obligés de se rabattre sur certains dirigeants de l’aile politique intérieure pour tenter de se rapprocher des combattants.
Malheureusement cette démarche n’a pas obtenue de succès. Ces « leviers » qu’ils activaient pour accéder aux maquisards ne sont plus efficaces. Ces intermédiaires bien qu’étant du MFDC ou se réclamant de ce mouvement sont également victimes du même blocus que leurs mandataires.
Une partie des dirigeants de l’aile politique intérieure qui ont tenté de transmettre aux combattants le ou les messages des acteurs de paix n’a jamais été reçu. Celle des émissaires qui ont réussi à leur parler n’a pas été écoutée. Il y en a même certains d’entre eux qui à cause de cette mission ont complètement perdu le contact physique et téléphonique avec les combattants auprès de qui ils sont momentanément devenus indésirables.
Une des preuves qu’ils sont dans l’impasse, c’est le fait qu’au premier semestre 2016, il n’a été enregistré la moindre rencontre sous forme d’atelier, de séminaire, de séance de partage et d’échange ou d’une quelconque autre nature de rassemblement entre un acteur de paix et les combattants.
Vous réfutez alors les accusations que vous êtes mal informés ?
Je n’ai pas comme eux cette prétention d’avoir une parfaite maitrise de tous les aspects de la problématique de la crise en Casamance. Cependant, je tiens à préciser à l’endroit de l’opinion et surtout de mes détracteurs que je maitrise parfaitement ce que je dis ou que j’écris.
Je rappelle que je suis journaliste de formation, que Je tiens à ma crédibilité et que je respecte ceux qui me lisent. A cet effet, Je me démène pour puiser mes informations à la source et non aux sources.
Que voulez –vous dire par là ?
Que je ne proviens pas du néant. Cela fait bientôt douze ans que je m’intéresse de manière très rapprochée à la crise en Casamance, aspect par aspect. Rechercher sur le conflit en Casamance est devenu pour moi une aventure très passionnante. Celle de partir à la découverte des multiples facettes que couve la situation de guerre qui prévaut en Casamance.
Je ne parle ni n’écris sur la base d’informations glanées par ci et par là auprès de n’importe quel individu qui accepte de me parler. Je suis quelqu’un qui privilégie l’observation directe à travers de fréquentes descentes sur les différents terrains à la rencontre de mes sources.
Le conflit en Casamance est très dynamique, c’est pourquoi il faut rester collé au terrain car c’est le terminus de toutes les initiatives et stratégies des uns et des autres dans leur volonté d’arriver à restaurer la paix en Casamance.
Également, je m’appuie sur un solide et immense réseau d’informateurs, un réseau qui ne cesse de se densifier et qui est composé d’acteurs d’origines et d’appartenances très divers. Certains vivent dans les différentes régions du Sénégal, d’autres sont basés hors du Sénégal, c’est-à-dire qu’ils vivent en Afrique, Europe, Amérique et en Asie.
Ainsi selon le type d’information recherchée, je sais vers quels acteurs me rapprocher pour effectuer mon recoupement avant de me prononcer.
D’ailleurs, mes détracteurs savent mieux que quiconque de quoi je parle. C’est juste que je les dérange sans doute en livrant certaines informations au grand public. Des faits et des événements dont la divulgation ne fait pas du tout leur affaire.
Ainsi, après m’avoir traité de tous les noms d’oiseaux, nombre d’entre eux ont cherché à intégrer mon réseau d’informateurs. Ils ont tenu à me rencontrer pour me déclarer leur disposition à me parler à tout moment en cas de besoin. «Si tu veux avoir des informations détaillées sur notre groupe et sur toutes nos activités, nous sommes disposés à tout t’expliquer et ensuite nous te donnerons une documentation. Au finish, tu verras que nous sommes différents des autres acteurs ».
Etes –vous déjà allé vers eux pour recueillir des informations ?
Pas encore. Sans doute que le moment n’est pas encore venu. Mais, je suis journaliste et j’évite les sources qui cherchent à me manipuler. Je ne veux pas de l’information toute cuite. Je refuse d’être la caisse de raisonnante de certains acteurs.
Si j’avais accepté de jouer à leur jeu en fondant mes propos sur la base des informations qu’ils m’auraient livrées ; je serais devenu le meilleur parmi les meilleurs observateurs du conflit. Si entre autre j’avais déclaré qu’effectivement les acteurs sont en contact avec les combattants avec qui ils sont en train de négocier en douce, si j’avais confirmé l’existence des « femmes du bois sacré de la Casamance » et le rôle primordiale qu’elles auraient joué avant, pendant et après la naissance du conflit, ils m’auraient cité dans toutes leurs interventions et m’auraient recommandé à tous les chercheurs intéressés par le conflit.
C’est donc parce que je dis des choses qui les dérangent, qui vont à l’encontre de certaines de leurs déclarations et intérêts, que je suis traité d’observateur « très mal informé », « nul et malveillant ». Le hic à leur niveau est que jamais, ils n’ont contredit aucun des nombreux faits que j’ai eu à relater dans mes différentes interventions en rapport avec la crise en Casamance.
Comment vivez-vous ces attaques de la part de certains acteurs.
Je ne reçois pas que des attaques et des menaces. Certains ont tenté de me faire perdre mon emploi. D’aucuns sont parvenus à me faire perdre des opportunités d’emploi…en Casamance. D’autres sont allés plus loin en cherchant à me mettre en mal à la fois avec l’Etat et le MFDC. D’un côté, ils sont allés dire aux combattants de se méfier de moi car je ne suis pas qu’un simple journaliste, mais un redoutable espion envoyé par l’Etat… de l’autre, ils ont dit à certaines hautes autorités sénégalaises que je ne suis pas qu’un simple journaliste chercheur et écrivain, mais un véritable rebelle ; celui qui joue le rôle de conseiller voir de porte-parole du MFDC.
Et à moi, ils sont venus me demander de faire attention à l’Etat et au MFDC. Ils m’ont conseillé d’arrêter d’écrire et de parler car le jour viendra où mes interventions se retourneront contre moi. Je leur ai répondu que finalement je dois faire attention à tout le monde. Mais ils ignorent que de part et d’autre, je suis informé en temps réel de tous leurs agissements et activités. Certains d’entre eux en ont les preuves de ce que je suis en train de dire. Ils étaient surpris d’avoir été publiquement dénoncés. Ils sauront témoigner s’ils ne manquent pas d’honnêteté et de courage pour le faire.
Cependant, j’ai juste envie de demander à mes détracteurs de me dire pour qui travaillent –ils ? Sont-ils des partisans du MFDC dont –ils veulent épargner de l’espion que je suis ou est ce qu’ils sont des agents de renseignements de l’Etat dont ils s’obstinent à informer de l’existence du grand rebelle que j’incarne. Qui de nous est finalement espion ou double espion ? S’ils travaillent pour les populations pourquoi refusent –ils qu’elles soient informées en cherchant à me fermer la bouche ? A y voir de très près, on a l’impression que certains acteurs travaillent pour eux-mêmes. C’est des gens qui vivent du conflit et qui sont prêts à s’en prendre à tout individu susceptible de les gêner.
Pour ma part, je vis tout cela sans pression. Mieux, ils sont en train de faire ma promotion en cherchant à m’ « étouffer ». J’ai la conscience très tranquille car j’agis en homme entièrement libre. Je ne suis d’aucun bord. C’est d’ailleurs ce qui me donne la latitude de pouvoir dire certaines choses en toute objectivité.
Vous n’avez pas peur pour votre vie ?
Je sais qu’ils sont déterminés à me faire taire par tous les moyens. Mais je continuerai mes activités de recherches et de publications d’œuvres sur le conflit en Casamance jusqu’au jour où ils parviendront à atteindre leur objectif ; c’est-à-dire à physiquement m’éliminer car c’est l’unique alternative qui s’offre à eux s’ils veulent vraiment obtenir mon silence.
Question d’actualité, Nous avons appris qu’Abdou Elinkine Diatta et quelques-uns de ses fidèles se sont rendus en Suisse amenés par des messieurs Casamance en vue d’y tenir des négociations. Comment jugez-vous cette situation ?
Rire. De tout le contenu de votre question un seul élément est vrai. Celui relatif au voyage d’Abdou Elinkine en Suisse. Il n’est pas allé en Suisse avec uniquement des membres de son groupe. La délégation comprend six éléments dont deux de son groupe et trois du groupe de contact. Selon des sources trop proches de ce dossier, ces dirigeants de l’aile politique interne du MFDC sont allés en Suisse pour prendre part à une grande rencontre internationale qui regroupera des délégations provenant de pays où règnent un conflit politique à l’image de la Casamance. C’est donc une rencontre au cours de laquelle chaque délégation va faire un exposé sur le conflit que traverse son pays et ensuite les débats porteront sur un partage de solutions de sortie de crise. C’est d’ailleurs ce qui a convaincu les membres de la délégation du MFDC d’accepter l’invitation de partir en Suisse. Ils n’y sont pas allés pour négocier ni pour signer quoi que ce soit.
Je suis en train de poursuivre mon travail de recoupement. Mais s’il s’avère que les versions de mes premières sources sont confirmées, Ce sera alors la toute première fois que des dirigeants du MFDC participent à de telles rencontres hors du Sénégal et de l’Afrique. J’espère qu’en termes de leçons apprises, la délégation du MFDC retiendra que c’est seul dans l’unité de toutes ses composantes que le Mouvement pourra être crédible et pourra envisager d’engager des négociations sérieuses avec l’Etat.
Autre sujet d’actualité, Le lutteur Balla Gaye 2 organise un forum à Dakar du 20 au 23 juillet 2016 sur le processus de paix en Casamance. Comment trouvez-vous cette initiative ?
C’est une bonne chose. J’espère qu’il y aura moins de folklore et que les débats seront dirigés par une personne ou une structure neutre. Si c’est un acteur ou un groupe d’acteurs de paix qui va diriger les travaux, c’est clair que les débats manqueront d’objectivité.
Il risquera dans ce cas de figure d’avoir un conflit d’intérêt. Les acteurs de paix ne peuvent pas être juges et parties. Ils ne procéderont pas à leur propre auto critique. Ils risquent de transformer cet événement en une opération de communication- marketing. Une aubaine à saisir car ce forum leur permet face aux médias d’égrainer le chapelet de leurs activités et d’essayer d’orienter les gens vers ce qu’ils croient et préconisent comme solution miracle de sortie de crise.
Si je devais leur proposer un sujet, ce serait de les inviter à réfléchir sur le pourquoi Atika s’est –il subitement détourné des acteurs de paix ?
Je crois que cette attitude du MFDC comporte un message à décrypter ; un code dont si on parvient à le déchiffrer pourra contribuer à nous faire grandement avancer dans le cadre des négociations en faveur de la paix.
Propos recueillis par Abdou Rahmane Diallo
ARDiallo
Bapoulo
A la lecture de votre interview, je m’inquiète aussi de l’enlisement du processus de recherche d’une solution politique négociée et de la paix en Casamance. Cet enlisement se présente par les adversaires de la Casamance comme étant un échec de l’entente dans le mfdc. Cette division leur sert d’argument pour demander la réappropriation sur le terrain des contacts avec les maillons faibles du mfdc de Ziguinchor et Bignona. Ce boulot est confié à des ONG mandatées par l’état du Sénégal ignorant même le GRPC, la plateforme des femmes c’est à dire les groupes de Casamançais. L’évocation de ce «blocage à dessein» par votre plume même si je j’approuve les faits prive tous les Casamançais surtout la société civile d’un levier considérable à travers lequel il pouvait contourner leur absence sur le dossier et influer sur la décision de l’amiral Sarr qui met en mal les ONG et les Casamançais.
Koumpo Boudodi
Quelle merveilleuse manière de nous faire comprendre le bloclage du processus de paix. Les détails de votre observation sur le terrain semblent établir qu’il n’ y a pas de processus de paix actuellement. La promesse de Macky Sall est donc tombée à l’eau et il serait judicieux que les Casamançais prennent le lead pour leur paix dans leur territoire. Vive la Casamance Libre!!!!
Zeus
RCB EST L’OBSERVATEUR ET L’EXPERT DE CETTE CRISE ! IL DEMONTRE QU’IL CONNAIT LES DESSOUS DU DOSSIER SANS TAM TAM NI TROMPETTE.