Casamance: Deuxième partie de l’interview de René Capain Bassène sur le conflit et le processus de paix
- Toutes les factions combattantes du MFDC sont foncièrement hostiles à l’exploitation du Zircon en Casamance.
- Salif Sadio doit accepter de se réconcilier avec ses frères d’arme pour donner plus de chance à l’entame d’un processus de négociations.
- Aucun chef rebelle ne peut à lui seul mettre un terme à la guerre à travers un accord avec l’Etat du Sénégal.
- Le président Macky Sall doit accorder un intérêt particulier au conflit en Casamance et agir de manière à jeter les bases d’un réel processus de négociations.
- En Casamance, le conflit existe toujours et existera tant qu’il n’y aura pas de démobilisation et de désarmement des combattants du MFDC.
Dans vos réponses vous avez évoqué des communiqués de César Atoute Badiate puis de Salif Sadio exprimant leur opposition à toute exploitation du zircon en Casamance. Est-ce que le fait que la compagnie Astrom chargée d’extraire le Zircon ait décidé de sponsoriser le Casa Sports Club fanion des casamançais ne signifie pas qu’il y a une évolution positive par rapport à la décision de ces deux chefs rebelles ?
Concernant l’exploitation du Zircon, il n’y a aucune évolution pour ce qui est de la position des combattants. J’ai personnellement vérifié cela à leur niveau, c’est à dire auprès de tous les maquis. La réponse est que même divisé Atika reste catégoriquement opposé à toute extraction de Zircon en Casamance « jusqu’à nouvel ordre ». Selon les combattants, tout forcing pour exploiter du Zircon sera automatiquement considéré comme une déclaration de guerre.
Ne croyez-vous pas qu’une telle décision pourrait conduire les hautes autorités à utiliser la force pour rétablir l’Etat de droit, pour sécuriser la zone d’exploitation et favoriser par ce procédé l’extraction du Zircon en Casamance ?
Je ne saurai répondre exactement car je ne suis pas dans les secrets des dieux, mais pour ce cas précis, je suggère aux exploitants de ce minerai de chercher à entrer en contact avec le MFDC afin qu’ils parviennent à un consensus, un accord ou n’importe quelle autre formule qui nous préservera de la reprise de la guerre.
A mon avis, je crois qu’il est inutile d’engager un bras de fer. Les populations ont soif de paix et ne veulent plus du crépitement des Kalachnikovs et autres détonations d’armes lourdes. Elles ne veulent plus revivre le phénomène des arrestations, des tortures et des emprisonnements de leurs proches. Les armes ont fait leurs lots de conséquences et ont fini d’étaler leurs limites.
Ça suffit. La casamançais ont assez de la guerre. La Casamance a soif de paix. Il faut privilégier le dialogue. L’usage de la force peut certes aider à atteindre un objectif immédiat, mais recèle à moyen et long terme des conséquences néfastes pour la stabilité et la sécurité des populations.
Nous devons prendre l’exemple des autorités de la Côte d’ivoire qui après avoir vécu une atroce guerre, ont épargné leurs populations d’une autre souffrance en gérant avec tact et de manière pacifique les mutineries de soldats puis d’anciens rebelles qui par les armes et la force avaient réclamé à l’Etat des indemnités.
C’est pour dire que l’Etat face au refus du MFDC doit privilégier la stabilité sociale. Le Sénégal regorge de personnalités assez influentes et assez expérimentées qui si on les utilise, parviendront grâce à leurs compétences à trouver une solution pacifique à cette situation. Non à la guerre. Il ne faudrait pas que pour leurs propres intérêts des compagnies étrangères viennent rallumer le flambeau de la guerre en Casamance.
Revenons à Salif Sadio, dites-nous en tant qu’observateur si vous avez espoir qu’un jour ce chef du front nord acceptera la main tendue de ses frères combattants en vue de la réunification totale du maquis casamançais.
Je tiens d’abord à lever une équivoque. Salif Sadio n’est pas le chef du front nord, mais le chef d’une des factions d’Atika se trouvant dans le front nord. En effet le département de Bignona ou front nord comporte trois factions combattantes : celle de Diakayes, celle de Salif Sadio et celle dite de Paul Ouloukassine Bassene placée sous le haut commandement direct de César Atoute Badiate. Chacune de ses factions occupe un espace bien précis et dont les limites sont bien connues par les autres.
Pour revenir à votre question, j’avoue en connaissance de cause que ce sera assez lourd et un peu difficile pour Salif Sadio de se retrouver avec ses frères. Par contre ce n’est cependant pas impossible. Il suffit pour lui d’avoir la volonté de se retrouver avec ses frères d’armes. Il doit juste à l’image de ses frères combattants faire preuve de dépassement, tourner la page sur le passé, accepter pour l’intérêt des populations casamançaises et au nom de la paix tant désirée par celles-ci de se joindre à ses frères dans leur dynamique de réunification du maquis avec pour objectif de pouvoir entamer un processus de négociations avec les autorités sénégalaises.
Etes-vous réellement convaincu de ce vous dites ?
Bien sûr que oui. On dit que qui peut le plus, peut le moins. Si Salif Sadio a décidé de s’ouvrir au dialogue avec l’Etat du Sénégal contre lequel il lutte depuis 1986 année de son engagement dans le maquis, il doit être en mesure de pouvoir adopter la même attitude à l’endroit de ses frères combattants. Il peut et doit le faire si réellement il est sincère dans sa volonté d’arriver à une issue heureuse au conflit.
L’histoire a montré que quelque soient leurs rivalités et leurs divergences idéologiques, les deux super puissances que sont les Etats Unis et l’URSS, et de nos jours les Etats unies et la Russie ont toujours su mettre de côté leurs ambitions et leur Ego pour discuter et trouver des solutions à leurs différents au nom de la paix et de la stabilité dans le monde.
Je ne vois donc pas pourquoi Salif Sadio formé dans le même maquis que le reste des combattants, qui partage la même idéologie que tous les membres et sympathisants du MFDC, qui tout comme ses frères a pris les armes pour revendiquer l’indépendance de la Casamance ne pourrait pas accepter de se retrouver avec eux pour harmoniser leurs positions afin de parler d’une seule voix et de pouvoir faire face au Sénégal autour d’une table de négociation en faveur du retour de la paix en Casamance.
A vous entendre on a l’impression que toutes les autres factions ont accepté de taire leurs divergences et de se retrouver mais que Salif Sadio aurait refusé leur main tendue pour une unité totale du maquis casamançais. Est-ce bien cela ?
Oui, les factions de Kassolole dirigée par César Atoute Badiate, d’Aquinthia commandée par Ibrahima Compass Diatta et de Diakayes sous l’autorité d’Assambane Diémé ont décidé de se retrouver. Depuis fin 2014, elles ont entamé un processus de réconciliation intra MFDC qui est presque arrivé à son terme.
Mais Salif Sadio a opté de faire cavalier seul en se consacrant entièrement à son processus de paix avec Sant’Egidio au détriment de celui de réunification du maquis en faveur d’un « processus de paix générale ».
Monsieur Basséne, ne trouvez pas que c’est une logique de négocier avec Salif Sadio puisque toutes les autres factions ne sont pas encore prêtes ?
A ma connaissance, il n’existe de nos jours aucune faction militaire ou politique civile du MFDC qui n’est pas favorable au dialogue. C’est un cas de figure qui n’avait jamais existé. C’est pourquoi, il faut y aller avec de bonnes stratégies et approches.
A cet effet, je crois que nous devons tous souhaiter et encourager les retrouvailles intra combattants si nous voulons voir démarrer un véritable processus de paix. L’histoire a clairement montré que négocier avec un seul chef, signer des accords avec une seule faction a invariablement été un échec.
Sous Abdou Diouf les acteurs de paix ne négociaient qu’avec Kamoughé Diatta, sous Maitre Wade ils avaient jeté tout leur dévolu sur César Atoute Badiate et sous Macky Sall, ils ont uniquement tenté de négocier avec Salif Sadio.
Mais retenez qu’aucun chef rebelle ne parviendra de manière solitaire à nous conduire vers une paix durable en Casamance. C’est une absurdité. C’est aussi ma conviction profonde car tous les accords de paix issus de ce type de négociations séparées ont échoué.
Ce que vous préconiser est peut être la solution idéale, mais dans la réalité comment pourrait –on arriver à réunir tous les leaders du MFDC autour d’une table ?
Je n’ai absolument rien contre les acteurs de paix, mais c’est juste que je déplore leurs méthodes de travail. Je ne peux pas comprendre que sur le terrain au lieu de s’unir et d’aider au rapprochement des belligérants, ces derniers perdre leur temps à se faire la guerre pour des préoccupations non avouées. Aussi depuis 1992 que certains parmi eux sont engagés dans la recherche de la paix, jamais ils n’ont obtenu d’accord durable.
En ce qui se rapporte au processus de réunification des combattants, les acteurs de paix dans leur totalité n’y ont été d’aucun apport. Si un acteur de paix quel que soit son rang vous déclare avoir contribué, appuyé, joué un rôle ou intervenu d’une certaine manière dans le processus de retrouvailles intra combattants, n’hésitez pas. Dites-lui en face qu’il raconte des contre-vérités absolues.
L’idée des retrouvailles a germé dans le maquis et tout se passe dans le maquis de manière exclusive. Aucun acteur externe n’est ni impliqué ni sollicité pour un quelconque accompagnement technique, financier ou matériel.
J’entends des acteurs déclarer être en train d’aider les combattants à se retrouver, d’autres plus teigneux ont déclaré être à l’origine de ce processus dont ils sont le « parrain ». Mais tous ces discours sont archi faux. Ces individus tentent de faire de la récupération pour se bâtir une gloire afin d’être crédibles aux yeux des autorités et de leurs bailleurs.
Pour moi, l’heure de la rupture a sonné. Il faut dire la vérité aux populations et aider par la même occasion les autorités et autres décideurs à avoir la bonne information afin qu’ils puissent prendre les meilleures décisions pour arriver à la paix.
On ne peut plus laisser les acteurs de paix continuer à produire de faux rapports, documents dans lesquels ils inscrivent des succès jamais obtenus…pour uniquement servir leurs propres intérêts.
Ils font tout pour contribuer à minimiser la portée de certains événements actuels en relation avec le conflit en faisant croire aux autorités et à l’opinion qu’en Casamance la guerre est presque finie grâce à leurs interventions.
Mais je rappelle que depuis 2014 tous ces acteurs ont perdu leur crédibilité auprès du MFDC qui par ailleurs a coupé tout contact avec eux. Certains sont en train de se débattre pour continuer à exister, on les entend annoncer dans les médias leurs « prouesses » dans le cadre de la recherche de la paix. C’est juste de manœuvres pour gagner de l’argent et les sénégalais les ont compris.
La triste vérité est qu’en Casamance, le conflit existe toujours et existera tant qu’il n’y aura pas de démobilisation et de désarmement des combattants du MFDC.
Par conséquent, le président Macky Sall doit accorder un intérêt particulier à la gestion de la crise casamançaise et agir en sorte que des jalons soient posés dans le sens de s’engager vers des négociations sincères.
Pourtant on vous dira que depuis son accession au pouvoir, il est noté une accalmie jamais obtenue en Casamance.
Certes, mais cette accalmie est antérieure à Macky Sall. C’est une dynamique qui a commencé à être ressentie au cours du deuxième mandat de maître Abdoulaye Wade. Avec le temps, elle s’est bonifiée. C’est pourquoi le régime actuel à l’obligation non seulement de travailler à la consolider, mais de chercher à aller plus loin que cette accalmie. Et pour cela, l’Etat doit sortir de sa position « attentiste » et prendre les choses en mains pour ne pas dire « prendre le taureau par les cornes » car jusqu’à présent le régime de Macky Sall n’a encore rien obtenu de concret concernant la recherche de la paix en Casamance. On tente de lui forger un bilan qui n’existe pas encore.
Cependant rien n’est encore perdu. Il peut d’ici la fin de son mandat obtenir la paix ou placer la Casamance sur une voie irréversible vers la paix. Il suffit juste comme je l’ai dit tantôt d’en avoir la volonté et l’engagement politique.
ARDiallo
Ekonkon
Moi en tant qu’intellectuel casamançais, je ne pardonnerais jamais le rôle des « Cadres et du Grpc » dans ce conflit. C’est ridicule que personne par ces « têtes pensantes » personne, je dis bien personne ne trouve une seule idée de sortie de crise !!!! Que font ces gens-là même ??? Tout ce qu’ils font c’est d’envoyer leur émissaire Pierre Marie Diatta pour leur trouver une piste dans le maquis. Sa dernière démarche a d’ailleurs échoué lamentablement selon des jeunes. Je remercie Rcb pour son intelligence et son franc-parler. René Ololal !!!!
Tapha
S’il y’a quelqu’un qui comprends vraiment le dossier et qui dépasse Nouha Cissé et d’autres apprentis experts c’est bien Capain..
C’est vraiment pas normal de partir de laisser la situation pourrir. Nous serons tous perdants et meurtris comme les gambiens.
Awagna2000
L’intérêt de l’interview de RCB réside sur deux points:
1. le courage de dire les choses comme elles sont
2. réduire la marge de mensonges et de manipulations sur la crise
J’apprécie beaucoup…
Dites moi: Est ce que RCB sera à Heidelberg ? Bon à savoir non?
CANADA
C’est claire!
C’est net!
C’est concis!
No comment!
Merci RCB pour cette interview qui met une fois de plus, la lumiére sur la réalité qui prévaut en Casamance, au grand bénéfice du public et des populations casamançaises soif de paix. Que le bon Dieu nous accorde sa bénédiction et accompagne la Casamance dans cette dynamique de retrouvaille, afin de donner une réelle chance à des négociations sincères pour le retour de la paix dans le pays des rizières. Amen!!
Merci JDP de partager cette interview.
Vive la Casamance libre!!