Interview du politologue sénégalais Bababar Justin Ndiaye à « L’Observateur » sur la situation en Casamance
L’Observateur: Quel commentaire faites-vous de l’enlèvement de 12 démineurs d’une société sud-africaine en Casamance, revendiqué par les maquisards du Mfdc à travers un communiqué paru sur leurs sites en Europe ?
Babacar Justin Ndiaye: On est face d’un besoin de supplément d’informations pour bien dissiper les zones d’ombre. Je sais que les démineurs enlevés à Kaylou dans le secteur de Nyassia, sont liés à la firme sud-africaine de déminage MECHEM. Sont-ils des militaires ? Difficile d’être précis sur leur statut ; même si les opérations de déminage sont l’apanage du génie militaire. Il s’y ajoute que, pour des raisons historiques bien connues, l’Afrique du Sud fourmille de capacités militaires très variées, allant de l’armée régulière aux firmes privées de mercenaires.
D’où la confusion vite établie entre les militaires actifs et les anciens militaires qui, eux, sont disponibles sur le marché international de l’expertise sécuritaire. Rappelez-vous qu’en Sierra-Leone, le gouvernement avait loué services de la société sud-africaine « Executive Outcomes », pour endiguer militairement les succès de la guérilla du RUF de feu Fodé Sonko
Donc, il n’est pas aisé de trouver une plage de lumière entre le silence du gouvernement, d’un côté ; et les informations bourrées de détails et illustrées par des photos de soldats sud-africains qu’on peut lire sur les sites d’informations du Mfdc-Europe, de l’autre. Notamment le site installé en Allemagne. En revanche, il est clair que les démineurs capturés ou pris en otages, opéraient pour le compte de la Commission nationale d’Actions Anti-Mines du Sénégal (CNAMS) qui est un organisme plus branché sur les Affaires Etrangères que sur la Défense nationale. Mais chat échaudé craint l’eau froide, autrement dit les combattants du Mfdc se souviennent qu’un régiment des Forces Armées Royales du Maroc (FAR) composé de démineurs et d’unités combattantes de protection, avait séjourné en Casamance, entre 2006 et 2010.
Au demeurant, le Mfdc avait mis en garde, il y a deux mois, les organismes CNAMS, Appel de Genève et APRAN, en des termes clairs : « Le déminage rentre dans le cadre des négociations de paix, avec une zone rouge au-delà de laquelle Attika ne garantit plus la sécurité des démineurs ».
Est-ce que cet enlèvement met en cause la dynamique de paix en cours depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir ?
N’abusons pas des mots ! Je ne vois pas de dynamique de paix. J’observe plutôt des efforts laborieux de paix. Sommairement, il y a deux équipes qui font des contacts tous azimuts à Rome, à Paris, à Sao Domingo et bien sûr en Gambie ou en bordure de la Gambie. Il s’agit des équipes de Robert Sagna et de l’Amiral Farba Sarr qui travaillent plus concomitamment que conjointement, d’ailleurs. Et parfois jusqu’aux confins de la concurrence. Les deux groupes sont truffés d’hommes et de femmes de valeur. Tous les médiateurs sont épaulés par le Cardinal Théodore Adrien Sarr. Dans l’équipe de l’Amiral, on recense d’anciens diplomates ; notamment le dernier ambassadeur du Sénégal à Madagascar, César Coly, un natif du village de Soutou. Mais le processus est ardu puisque le contact avec le maquis est plus facile à préconiser qu’à réussir. Parfois on quémande l’aide du Père Edmond du diocèse Ziguinchor pour obtenir un entretien avec César Atoute Badiatte. Dans ce contexte, cet enlèvement des 12 démineurs est une arme terrifiante pour arracher, aux forceps, des concessions à l’Etat sénégalais.
Donc l’appel radiotélévisé d’Ousmane Niantan n’est pas à verser dans la dynamique de paix ?
Non ! Niantan est grillé et de facto condamné à mort par contumace et pour désertion ou collusion avec l’ennemi. Il faut connaitre les mœurs du Mfdc qui sont celles implacables de toute guérilla. Rappelez-vous que c’est Wade qui l’avait envoyé en Espagne pour soigner son mal de reins. Et, au moment où je vous parle, il est installé par l’Etat dans une ville du centre du pays que je ne veux pas nommer. Bref, il est guetté par le syndrome Léopold Sagna, cet ancien chef d’Etat-major adjoint du Mfdc qui a été convoyé par le Fokker de l’armée jusque dans le bureau du Président Abdou Diouf. Dès son retour au maquis, Léopold Sagna a été exécuté pour trahison.
Est-ce qu’il y a des espoirs que le nouveau régime réussisse là où les gouvernements de Diouf et Wade ont échoué ?
Oui, oui ! L’espoir est autorisé. De la forêt verte, on débouchera tôt ou tard sur le tapis vert. Mais les conflits se moquent des délais. D’autant plus que les défis d’hier ne sont pas ceux d’aujourd’hui. Le Mfdc pose à Macky Sall, des équations inédites. Tenez ! On a obtenu la libération des prisonniers militaires grâce à la bonne volonté – non exempte de calculs – du Président Yaya Jammeh. Un coup dur mais amorti par le fait qu’un Etat a traité voire fait des concessions à un autre Etat. Par contre, si dans cette affaire de démineurs, le gouvernement fait des concessions poussées à une insurrection armée, les conséquences pourront être durablement désastreuses.
Que pensez-vous des appels à la paix lancés par certains responsables du maquis ?
Les uns lancent des appels à la paix, tandis que les autres prennent des otages. Allez y comprendre ! J’y vois une confusion planifiée par des ennemis de la paix. Dans tous les cas de figure, la capture des otages montre que le Président Macky Sall doit traquer aussi bien les biens mal acquis que les rebelles radicaux.
L’Observateur