Casamance / Enquête : Six ans et demi après la tuerie de Boffa-Bayotte, le procès en appel est fixé au 24 juillet 2024
Le 6 janvier 2018, 14 trafiquants de bois ont été tués dans la forêt de Boffa-Bayotte tout près du village de Toubacouta. Six années et demie après, le Journal du Pays vous livre l’enquête déjà menée sur le terrain.
Plus de six années se sont écoulées, après plusieurs déclarations contradictoires de politiciens, acteurs et experts sur le massacre, une stratégie de mise en silence d’Omar Ampoi Bodian, le Chargé de mission du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) et du journaliste chercheur et spécialiste en investigation René Capain Bassène, a été savamment exécutée par le Groupe de Réflexion pour la Paix en Casamance (GRPC) dirigé par Robert Sagna. Ce dernier déclarait à la face du monde : « Nous utiliserons tous les moyens à notre possession et tous les pouvoirs pour combattre les indépendantistes».
En collaboration avec les autorités sénégalaises, Robert Sagna a envoyé un de ses serviteurs Aliou Djiba chez Maurice Badji, chef de village de Bourofaye Diola. La mission d’Aliou Djiba est de dicter à Maurice Badji tout ce qu’il devrait raconter aux gendarmes enquêteurs déployés pour faire arrêter Omar Ampoi Bodian et René Capain Bassène. Ces derniers les empêcheraient de prendre contact avec les combattants du MFDC au sud de la Casamance.
Entendu le premier sur l’affaire de la tuerie, le chef de village de Boffa-Bayotte est catégorique : «Je ne peux rien dire sur ce sujet parce que je ne sais rien a –t-il déclaré aux gendarmes.»
Pour le chef de village de Bourofaye-Baynouck : « Comme vous, j’ai appris la mauvaise nouvelle par la radio. D’ailleurs notre village n’est pas de la commune de Nyassia. Cependant nous avons entendu des tirs et aussi les corps des victimes ont transité dans mon village avant d’être acheminés à Ziguinchor. C’est tout ce que je sais.»
Quant au chef de village de Toubacouta : « Je ne vis pas à Toubacouta depuis plus de 20 ans. Je ne sais rien de ce qui s’est passé. Il faut s’adresser à Ibou Nafoute Sané mon secrétaire général. »
Le chef de village de Trankil dit ne rien savoir de toute cette tragédie.
C’est donc le nouveau élu de Bourofaye Diola, en l’occurrence Maurice Badji qui déclara : « Il y a eu une réunion le 03 janvier 2018 dans mon village. J’ai convoqué cette séance en accord avec le journaliste René Capain Bassène. »
Le mercredi 10 janvier 2018, quatre jours après le massacre dans la forêt de Boffa, un homme est arrivé à moto dans le village de Toubacouta. Il portait le nom de Landing Diédhiou et s’est présenté comme le conseiller particulier de Robert Sagna. Il demanda alors de rencontrer le président de la jeunesse villageoise, le nommé Abdou Sané et l’infirmier de la localité Nicolas Diatta.
Le message transmis par Landing Diédhiou est troublant : « Je viens de la part de Robert Sagna. Il vous demande d’être très prudent car votre village est ciblé. La gendarmerie interviendra dans 48 heures pour arrêter votre collègue Jean Christophe Diatta. Dites-lui d’être tenace et coopératif. Il ne doit surtout pas fuir du village. »
Quelques heures après le départ de Landing Diédhiou du village, Abdou Diédhiou et Nicolas Diatta ont fidèlement informé Jean Christophe Diatta du message du dit « Conseiller de Robert Sagna ».
Qui est donc Jean Christophe Manga ?
Jean Christophe Diatta faisait partie des activistes membres du comité de défense de la forêt de Casamance qui ont été arrêtés deux mois auparavant, jugés et condamnés à un mois d’emprisonnement. Ils se seraient battus contre les trafiquants du bois précieux de Casamance et auraient confisqué le matériel de coupe de bois.
Ce même jour, du 10 janvier, Maurice Badji et Nafoute Sané sont convoqués à la gendarmerie de Boudody en face de la gouvernance de Ziguinchor pour concocter toutes les fausses accusations contre les jeunes de Toubacouta, le journaliste René Capain Bassène et d’Oumar Ampoi Bodian, le chargé de mission du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC).
Le 13 janvier 2018, tôt le matin entre 5 à 6 heures, Nafoute Sané a conduit les gendarmes dans le village de Toubacouta.
De maison à maison, Nafoute a montré aux gendarmes les chambres des jeunes qui seront défoncées. 15 jeunes dont Jean Christophe Manga ont été arrêtés manu militari.
Comment donc Robert Sagna était-il informé 48 heures à l’avance, de l’arrestation des jeunes de Toubacouta par la gendarmerie ? Allez savoir !
Au même moment à Ziguinchor, c’est Maurice Badji qui a servi de guide à la gendarmerie pour encercler la maison du journaliste René Capain Bassène et procéder à son arrestation.
Toutes les personnes arrêtées ce jour, ont été torturées et enfermées dans la gendarmerie de Néma toujours à Ziguinchor. Selon les témoignages d’ « insiders », aucun élément ou document compromettant n’a était saisi lors de ces opérations.
Arrêté le 13 janvier 2018 dans la maison familiale à Toubacouta, Jean Christophe Manga a été battu et torturé devant sa femme et ses enfants. « J’ai été moi-même ligotée et jetée par terre par les hommes armés de la gendarmerie » a déclaré Madame Manga. « Ils ont fouillé la maison et jeté tous nos affaires au sol en les piétinants. N’ayant rien trouvé, ils sont partis avec mon mari menottes aux poings presque sans habit et avec des blessures aux deux genoux, le sang coulait sans arrêt » affirme-t-elle.
Jean Christophe Manga a été accusé par Ibou Nafoute Sané de rebelle et combattant du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance, pire il aurait dirigé personnellement les opérations de la tuerie de Boffa-Bayotte. Dans un premier temps il nie toute implication dans cette histoire.
A la gendarmerie de Néma, où il a était séparé des autres jeunes de Toubacouta. Jean Christophe Manga qui a rejoint Maurice Diatta et Ibou Nafoute Sané à la gendarmerie de Boudodi. Une promesse d’argent et de libération aurait été avancée par les enquêteurs. En tout cas, Jean Christophe Manga s’est rétracté et déclare avoir dirigé les opérations de tuerie mais avec les jeunes du quartier de Ibou Nafoute Sané toujours du village de Toubacouta. Ces accusations ont provoqué d’ailleurs la deuxième vague d’arrestation du 23 janvier 2018.
Dans sa dernière déclaration, il a ajouté qu’il a aperçu René Capain Bassène sur les lieux de la tuerie. « Ils lui ont montré une photo de René Capain Bassène, il a répondu qu’il ne le connais pas. Ils l’ont battu et il ne supportait plus les tortures et il a accusé faussement René Capain Bassène. » Nous apprennent nos sources. Cette accusation conforte ainsi le procès-verbal produit par Aliou Djiba un des envoyé de Robert Sagna.
Pourtant à cette date du 06 janvier 2018, René Capain Bassène était avec les jeunes de son quartier pour un match de football. Tous les témoignages s’accordent à ce sujet et une douzaine de jeunes veulent apporter leur témoignage en vain.
Très vite, l’enquête truffée qui était confiée à la brigade de gendarmerie de Ziguinchor a été retirée et confiée à l’équipe du Lieutenant-colonel Issa Diack, le nouveau patron de la Section de recherches de la Gendarmerie nationale basée à Dakar.
Arrivé à Ziguinchor, Issa Diack convoque de suite Maurice Sambou et Ibou Nafoute Sané. Après leurs déclarations, il les maintient en détention.
Entendu par le juge d’instruction en février 2018, Ibou Nafoute Sané aurait rejeté toutes les accusations. Il a expliqué au juge qu’il a été contraint de parler et d’accuser les gens sous l’effet de la torture systématique depuis son arrestation.
Jean Christophe Manga qui était convoqué par le juge en mars 2018, lui aussi rétorque qu’il n’a jamais été rebelle et qu’il n’a jamais dirigé une opération de tuerie. Il affirme qu’il était le 06 janvier 2018 il à la cérémonie religieuse d’un parent décédé. Les villageois confirment. Il déclare qu’il a été battu pour accuser des personnes qui lui sont citées. Selon sa famille, son corps est lézardé par des cicatrices.
« Maurice Badji, le protégé de Robert Sagna, est le seul jusqu’en mai 2019 qui n’a pas eu d’interrogatoire devant le juge d’instruction. Mais tout le village sait que c’est lui qui est la base de l’arrestation des jeunes de Toubacouta » a confié un de ses oncles.
Aliou Djiba, l’envoyé spécial de Robert Sagna à Toubacouta, a fait sensation en avouant aux membres de sa famille qui lui a rendu visite en prison que c’est bien Maurice Badji qui a parlé de réunion et qui a remis aux gendarmes la liste sur laquelle ils se sont basés pour arrêter les gens dont René Capain Bassène.
En ce qui concerne Oumar Ampoi Bodian, le chargé de mission du MFDC, l’information qui est répandue dans le village de Toubacouta, c’est Bourama Toumboul Sané, chef du comité pour la préservation de la forêt, tué par la gendarmerie lors de son arrestation, qui aurait cité son nom. Ce bruit a était orchestré par Robert Sagna nommé « Parrain » (parrain de la mafia ?) dans un livre de Xavier Diatta « Casamance : Les geôles du mensonge. »
Me Clédor Ciré Ly, avocat de 26 casamançais détenus depuis quatre sans jugement, s’est rendu pour la première fois en octobre 2020 à Ziguinchor pour faire face au juge d’instruction.
A la sortie de cette consultation, Me Ly s’est adressé à la presse : « Cette enquête de la gendarmerie est une véritable arnaque Il n’y a pas eu d’enquête. Ils se sont contentés de ramasser des innocents, des membres de mêmes familles, pour enfin les inculper dans une tuerie …. Pour les exigences d’un procès équitable, nous avions demandé au juge d’instruction de procéder à des investigations pouvant établir tous les mensonges qui se trouvaient dans le procès-verbal d’enquête de la gendarmerie. Le juge d’instruction a tout bonnement refusé ».
Dans son délibéré du 13 juin 2022, lors de ce premier jugement politisé à outrance par le régime haîneux de Macky Sall, la Chambre criminelle du Tribunal de Grande Instance de Ziguinchor avait condamné sans une seule preuve établie preuve René Capain Bassène, Omar Ampoï Bodian et César Atoute Badiate à la réclusion criminelle à perpétuité. Aliou Badara Sané, Abdoulaye Diédhiou avaient bénéficié d’une liberté provisoire avant d’être condamnés à six mois avec sursis pour détention illégale d’arme et onze (11) acquittements ont été également prononcés.
Ensemble et en accord avec leurs familles et leurs avocats, clamant haut et fort leur innocence, les détenus politiques ont interjeté un appel du premier jugement, et le nouveau procès sera tenu à Ziguinchor le mercredi 24 juillet 2024.
La mobilisation est devenue très forte en Casamance et à l’étranger pour exiger la libération des prisonniers politiques et l’indemnisation complète de tous les détenus.
ARDiallo