Contribution : Casamance, un territoire en quête de sa vérité (Bakary Sidibé)
« La Casamance ne fait pas en réalité partie du Sénégal. » Cette phrase, prononcée en 1912 par Henry Maubert, alors administrateur supérieur français de la Casamance, résonne encore aujourd’hui comme une vérité oubliée, voire délibérément occultée. Plus d’un siècle après cette déclaration, la Casamance reste en quête de reconnaissance, enfermée dans une relation complexe et souvent conflictuelle avec l’État sénégalais.
Depuis des générations, les Casamançais savent et affirment que leur terre n’est pas une simple région du Sénégal, mais bien un territoire unique, avec une identité et une histoire propres. Ce n’est ni une opinion ni un caprice : c’est une vérité historique et géographique que le colonialisme avait lui-même admise. Loin d’être une idée récente, cette particularité de la Casamance a été reconnue par plusieurs sources et confirmée par des recherches comme celles de l’historienne Séverine Awenengo Dalberto dans « L’Idée de la Casamance autonome« . Ce que Maubert affirmait en 1912, ce que les Casamançais revendiquent aujourd’hui, est le droit d’être perçus comme un peuple à part entière, une région dont l’histoire ne peut être effacée par un simple décret administratif.
Pour Maubert, la Casamance nécessitait une gestion autonome, adaptée à ses caractéristiques géographiques, sociales et économiques, distinctes de celles du Sénégal. Il considérait qu’imposer des lois sénégalaises sans tenir compte de ces spécificités relevait de l’« hérésie géographique et ethnique ». Cette vision, loin d’être une provocation, était un appel à respecter la singularité de la Casamance. Pourtant, malgré les décennies de lutte et de résistance des Casamançais pour faire valoir leur différence, cette réalité continue d’être ignorée par les autorités sénégalaises, qui tentent d’imposer une uniformité qui ne correspond pas à la vérité vécue par ce peuple.
Les tentatives du Sénégal pour intégrer la Casamance n’ont fait que renforcer le sentiment de marginalisation de cette région. Bien plus qu’une simple question de régionalisme, c’est l’identité même des Casamançais qui est en jeu. Ils sont en droit de revendiquer une autonomie basée sur des réalités historiques et culturelles indéniables, une autonomie que Maubert lui-même préconisait déjà au début du siècle dernier.
Aujourd’hui, persister à nier cette vérité ne fait qu’entretenir un mensonge d’État. Les Casamançais sont fatigués d’un récit unifié qui les exclut, d’une politique qui efface leur histoire et d’un État qui refuse de les reconnaître pour ce qu’ils sont. Cette résistance de plus d’un siècle témoigne de leur désir de se réapproprier leur vérité. Car, qu’on l’accepte ou non, la Casamance ne se voit pas, ne s’est jamais vue comme une simple région sénégalaise.
Pour que la paix puisse s’installer durablement, il est temps de reconnaître cette réalité et de respecter la Casamance pour ce qu’elle est : un territoire avec sa propre histoire, sa propre culture, et sa propre vérité. Tant que cette reconnaissance ne sera pas accordée, toute tentative d’intégration forcée continuera de raviver un ressentiment légitime. La paix et la réconciliation ne peuvent se construire que sur une base de vérité et de respect mutuel, où les spécificités de la Casamance seront enfin acceptées et valorisées.
Bakary Sidibé (Economiste et Politologue Casamançais)
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