Algérie / France : Tourmente diplomatique autour de la Grande mosquée de Paris

La brouille diplomatique entre la France et l’Algérie place la Grande mosquée de Paris dans une position délicate. À la veille de son quatrième « iftar des ambassadeurs », prévue ce mardi pour la rupture du jeûne du ramadan, l’institution se retrouve sous le feu des critiques en raison de ses liens historiques avec Alger. Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, est attendu à cet événement, contrairement à son collègue de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui marque ainsi une rupture avec la présence régulière de son précédent, Gérald Darmanin, depuis 2022.
Cette période de ramadan est particulièrement tendue pour la Grande mosquée. Traditionnellement, environ 80 « imams psalmodieurs » algériens étaient envoyés en renfort temporaire par Alger. Cette année, aucun n’a fait le déplacement. « Le consulat n’a pas reçu de demande de visa », indique une source gouvernementale. « La situation est compliquée », confie le recteur, Chems-eddine Hafiz, visiblement affecté.
Une institution dans la ligne de mire
Pour Franck Frégosi, sociologue et chercheur au CNRS, « la Grande mosquée de Paris fait les frais de la dégradation des relations franco-algériennes ». Les tensions se sont accentuées en janvier dernier, lorsque l’institution a été accusée d’avoir orchestré, avec le soutien des autorités algériennes, un système monopolistique de certification halal pour les produits européens exportés vers l’Algérie, générant d’importants profits. Le recteur Hafiz, dont les liens avec Alger sont régulièrement pointés du doigt, a également été interpellé début janvier par Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger, qui l’a invité à se concentrer sur la religion plutôt que sur la politique.
Face à ces attaques, qu’il qualifie de « totalement mensongères », Chems-eddine Hafiz défend son institution : « La Grande mosquée ne s’est jamais cachée d’avoir une relation construite entre l’Algérie et la France. Nous sommes une passerelle vertueuse entre les deux », déclare-t-il début mars. Soutenue financièrement par l’État algérien à hauteur de 2 millions d’euros annuels depuis les années 1980, l’institution, inaugurée en 1926, doit naviguer entre son héritage et les pressions actuelles.
Un équilibre fragile
La Grande mosquée a également été évoquée pour le refus de son recteur de participer à la manifestation contre l’antisémitisme du 12 novembre 2023, en raison de la présence du Rassemblement national. « Avant, j’étais le musulman qu’il fallait fréquenter à tout prix. Après, je deviens le pire des antisémites », déplore M. Hafiz, marquant un tournant dans la perception de son rôle. Longtemps vue comme un modèle d’« islam républicain » et un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics – notamment après la marginalisation du Conseil français du culte musulman (CFCM) en 2021 –, l’institution perd aujourd’hui de sa superbe.
La crise diplomatique, exacerbée par la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en juillet 2024 et l’arrestation de l’écrivain algérien Boualem Sansal en novembre 2024, complique encore la situation. Le silence du recteur sur cette affaire a suscité des reproches. « Le regard laxiste qu’on portait sur la Grande mosquée ne peut plus être le même depuis l’affaire Sansal », estime un observateur averti.
Tensions migratoires et politiques
La crise a aussi des répercussions sur les migrants. Bruno Retailleau, partisan d’une ligne dure, a menacé de démissionner si Paris cédait sur le renvoi des ressortissants algériens en situation irrégulière. Dans un billet publié début mars, Chems-eddine Hafiz dénonçait quant à lui les « faiseurs de peurs » qui alimentent une « mise en procès » de l’immigration algérienne.
Prise entre ses « ambiguïtés », comme le note cet observateur, la Grande mosquée de Paris doit désormais composer avec un climat de défiance. « Elle s’est sentie pointée du doigt par un ministère de l’Intérieur qui avait été bienveillant », analyse Franck Frégosi, soulignant la volonté de Bruno Retailleau de marquer un tournant dans la structuration de l’islam en France. Dans ce contexte, l’iftar des ambassadeurs de mardi pourrait bien être un test décisif pour l’institution.
ARDiallo
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