Casamance : Marche des victimes du « JOOLA » à Ziguinchor et quand l’État sénégalais piétine leur mémoire

Un silence aussi pesant que les flots de l’Atlantique continue d’envelopper la tragédie du Joola. Vingt-deux ans après le naufrage du ferry, l’une des plus grandes catastrophes maritimes civiles au monde, les familles des victimes attendent toujours l’essentiel : le respect, la vérité, et la justice. Ce week-end, elles ont marché dans la dignité et la douleur, mais ont trouvé sur leur route une porte fermée : celle du Mémorial-Musée Le Joola, refusé aux propres proches des disparus.
Ce n’est pas une maladresse. C’est un affront.
Des mères, des pères, des frères et sœurs ont parcouru des kilomètres à pied pour honorer la mémoire de leurs enfants engloutis en mer. Ils portaient leurs visages imprimés sur des t-shirts, brandissaient leur souvenir comme un cri que l’histoire refuse d’entendre. Et à l’arrivée, pas un seul représentant de l’État. Pas même une clef pour leur permettre d’entrer prier dans un musée censé être le sanctuaire de leur mémoire collective.
Elie Jean Bernard Diatta, leur porte-voix, a dit avec une émotion contenue ce que des milliers ressentent : l’abandon. Ce silence des autorités, ce mépris pour le deuil, cette indifférence froide et institutionnalisée qui s’ajoute à l’horreur initiale.
Le Joola, ou l’archéologie du mépris
Le 26 septembre 2002, le Joola sombre au large de la Gambie. Plus de 2 000 passagers à bord – pour un navire conçu pour à peine un quart de cette capacité. Une surcharge criminelle, un commandement défaillant, une météo ignorée, des secours inexistants… et derrière tout cela, un appareil d’État qui ne répond pas.
Depuis ce jour, pas un seul procès. Aucune enquête publique digne de ce nom. Aucun responsable traduit en justice. En 22 ans, les familles n’ont reçu que des cérémonies protocolaires creuses et des promesses évasives. Pas une seule condamnation.
Un devoir de justice, pas de commémoration creuse
L’État sénégalais semble avoir opté pour une stratégie bien rodée : enterrer l’affaire sous les discours de circonstance et les coups de peinture sur les murs du mémorial. Mais un mémorial qui exclut les familles des victimes est une insulte, pas un hommage. Ce musée fermé symbolise ce que l’État a fait du Joola : une affaire classée, hors de vue, hors d’esprit.
Mais pour les familles, il ne s’agit pas de tourner la page. Il s’agit d’écrire enfin les pages manquantes de vérité.
Casamance humiliée, Nation divisée
À Ziguinchor, le Joola n’est pas seulement un deuil. C’est un trauma historique, une colère vive. Pour beaucoup de Casamançais, le naufrage n’a pas seulement coûté des vies : il a mis en lumière une fracture nationale, un sentiment d’abandon, de marginalisation.
Lorsque l’État refuse aux victimes le droit de se recueillir, il alimente ce ressentiment. Il aggrave la plaie. Il confirme les pires soupçons : que certaines vies comptent moins que d’autres.
À quand la justice ? À quand la vérité ?
La question n’est pas symbolique. Elle est politique, judiciaire, éthique. Pourquoi aucun responsable n’a été poursuivi ? Pourquoi les familles n’ont-elles jamais été indemnisées équitablement ? Pourquoi le Sénégal n’a-t-il jamais lancé une commission d’enquête indépendante digne de ce nom ? Pourquoi les enfants des victimes ne bénéficient-ils pas de bourses d’études comme on le fait ailleurs, après des drames d’État ?
M. le Président, M. le Ministre de la Justice, M. le Maire de Ziguinchor :
Ouvrez les portes. Rendez des comptes. Respectez la mémoire.
Le Joola n’est pas un souvenir à ranger dans un musée fermé à double tour. C’est un cri étouffé dans la gorge de la Casamance toute entière. Un cri qui exige enfin d’être entendu.
Le silence d’État est une deuxième noyade. Ne laissons pas nos morts sombrer une seconde fois dans les ténèbres de l’oubli des gouvernements sénégalais.
Antoine Bampoky
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté en pour poster un commentaire.