Casamance: Entretien avec René Capain Bassène auteur du livre » Abbé Augustin Diamacoune Senghor » sur la situation en Casamance
Quelle lecture faites-vous de l’avancement du processus de paix en Casamance ?
Le processus de paix est au pont mort. Il n’y a aucune avancée significative. La seule chose qu’il faut noter, c’est qu’il y a une volonté de négocier de part et d’autre, c’est-à-dire qu’il y a d’un coté un Président de la république favorable au dialogue et qui est prêt à négocier avec le MFDC partout où il le souhaiterait et de l’autre une volonté de manifeste de tous les chefs des différentes factions de l’aile militaire, civile et politique interne et externe du mouvement rebelle (indépendantiste), d’aller vers la table de négociations.
Jusqu’au moment où je te parle, nous en sommes à ce stade, et contrairement à ce que l’on veut faire croire aux populations, rien n’a réellement bougé. C’est le statu quo.
Vous semblez contredire les acteurs qui s’activent dans la recherche de la paix, qui soutiennent invariablement que des actes concrets sont entrain d’être posés de façon discrète dans ce domaine ?
C’est possible ; mais je ne connais pas un acte posé par ces démarcheurs de la paix qui n’est pas connu du grand public. Ces démarcheurs de la paix se livrent à une sorte de concurrence dans laquelle chacun s’empresse d’annoncer à travers la presse ses prouesses pour que l’on sache qu’il est entrain de bien travailler. La conséquence de cette rivalité c’est qu’on assiste à une véritablement cacophonie sur les informations qu’ils livrent aux populations.
Pouvez-vous citer des exemples de ce que vous appelez cacophonie des acteurs de la paix en Casamance pour étayer votre argumentaire ?
Eh bien, en voici quelques unes : Le constat est que de nos jours, il y a beaucoup d’acteurs avec différentes méthodes et messages pour une seule cible et un même but. Et chacun parmi eux, croit détenir la solution au retour de la paix. D’où certaines déclarations très étonnantes qui expriment une certaine cacophonie et une recherche de positionnement ou de visibilité de leurs activités.
Quand dans la presse, certains acteurs déclarent qu’ils font du retour de la paix en Casamance leur affaire personnelle, je me pose les questions pourquoi ce zèle et si réellement ils se rendent compte de ce qu’ils disent, pourquoi ils le clament-ils tout haut, et sur quelle base ils fondent leurs propos. Comment un problème aussi délicat peut –il être l’affaire d’une seule personne ? Encore moins d’un groupe ?
C’est pareil à propos de la libération des otages (prisonniers ou détenus mineurs). Des gens se sont prononcés pour dire qu’elle était imminente et qu’elle interviendrait dans les heures voir les jours à venir, leurs parents ont espéré et les populations sont restées longtemps avant que cela ne se réalise.
D’autres ont envoyé dans la presse un communiqué avant même que les détenus ne soient remis aux autorités bissau-guinéennes pour exprimer leur joie de voir César Atoute accepter de répondre à leur appel. Pour quoi cette empressement ? Pourquoi cette sorte de bataille médiatique ? Parmi eux, qui a réellement fait libérer les otages ? En tout cas si César n’avait pas cité Barack Obama, on n’aurait jamais su que les Etats Unis y ont apporté leur contribution. C’est un exemple à suivre, l’humilité et la discrétion. C’est des qualités ou des comportements qu’il faut pour aboutir à de bons résultats.
Il y a quelques semaines, l’un d’entre eux avait annoncé que Salif Sadio était en brouille à la fois avec Sant ‘ Egidio et avec les autorités gambiennes et que le contact serait rompu entre eux. Et pendant que les populations désemparées n’ont pas fini d’épiloguer sur cet information, voici qu’un autre nous sert une version des faits un peu plus rassurante faisant état de ce même Salif Sadio qui, non seulement est toujours disposé à négocier, mais n’a jamais été en désaccord avec Sant ‘Egidio, et que le dialogue n’a jamais été rompu et que le processus de paix va bon train.
A qui se fier, si dans la même semaine un autre acteur à l’occasion d’un débat radiodiffusé sur le conflit a affirmé à qui veut l’entendre que la Gambie , ce pays qui a été félicité et remercié il y a quelques mois par lui-même à travers les médias pour avoir joué un rôle déterminant en faveur de la libération des militaires anciennement détenus prisonniers par Salif Sadio, n’est pas entrain de jouer franc jeu dans le cadre de la recherche de la paix en Casamance et qu’elle aurait intérêt si elle veut préserver les relations de bon voisinage avec le Sénégal de changer d’attitude. Voila donc une déclaration qui peut se retourner contre le processus de paix ?
Et pendant que les uns sont entrain de se contredire, les autres ont réussi à la surprise générale à exfiltrer ou à démobiliser si vous le voulez quinze jeunes combattants pour les amener travailler en Europe en créant de grandes frustrations dans le maquis ce qui peut susciter un manque de confiance entre acteurs et entraîner un blocage dans le cadre de la recherche de la paix.
Je crois qu’il serait bon que tous ces acteurs harmonisent leurs plans d’actions dans le cadre de la recherche de la paix, cette mission qu’il leur est confiée ou qu’ils se sont octroyés eux-mêmes.
Revenons au processus de paix pour dire que contrairement à ce que vous avancez, nous croyons qu’il y a bien des résultats tels que la libération des prisonniers militaires par Salif Sadio puis des détenus démineurs par César Atoute Badiate qui démontrent que les choses sont entrain de bouger?
Je réitère mon propos que rien n’a bougé. En réalité, cette libération des détenus n’est pas une résultante d’un processus de paix. Elle n’est pas le fruit d’une négociation dans le cadre d’un processus de paix. Ce sont des événements isolés qui ont été traités de manière ponctuelle et qui ont connu une issue heureuse. Cela n’a absolument rien à avoir encore fois avec le processus de paix qui à mon avis est l’ensemble des démarches entreprises en amont auprès du gouvernement et du MFDC dans sa globalité pour les amener à se retrouver autour de la table de négociations ainsi que l’ensemble des différentes étapes des pourparlers à la signature d’un accord définitif.
Croyez-vous alors que si une fois le processus de paix entamé les choses peuvent aller vite ?
Oui et non. Vous savez, la paix ne se décrète pas, elle se négocie, c’est encore une fois un processus dans lequel on peut avancer de cent pas et reculer de quatre vingt dix neuf, tout comme on peut avancer de vingt pas et bondir de 500 pas. Cela dépendra des acteurs choisis, du contenu et de la manière dont seront conduits les pourparlers.
Ce sont des événements qui malheureusement ont fait l’objet d’un grand tapage médiatique autour de Salif Sadio il y a quelques mois et de césar Atoute la semaine dernière. La libération des détenus ne signifie pas fin de la guerre car aucun de ces deux chefs n’a renoncé à sa lutte pour l’indépendance. D’ailleurs, cela apparait clairement dans le discours de César Atoute Badiate quand il demande au gouvernement de respecter sa parole de ne pas franchir la zone rouge et d’arrêter le déminage pour entamer des négociations sérieuses pour le retour d’une paix durable en Casamance. Il a utilisé le mot entamer dont tous nous connaissons le sens, ce qui veut dire qu’à son niveau le processus de paix n’a pas encore débuté.
Quelle analyse faites-vous des nouvelles démarches que sont entrain de mener le groupe de réflexion pour la recherche de la paix en Casamance?
Encore une fois, je répète que je ne comprends toujours pas l’état d’esprit de ces « démarcheurs » de la paix en Casamance. Tantôt on nous parlait de la mise en place de comités vérité, réconciliation, pour amener les populations à se pardonner, et voilà qu’aujourd’hui on nous annonce la tenue de rencontres avec de grands experts pour examiner des expériences en matière de décentralisation et de responsabilisation des collectivités locales sans doute afin de voir comment pouvoir les appliquer au niveau de la Casamance dans le cadre de la recherche de la paix.
A ce propos, je crois que je suis trop petit pour leur rappeler qu’en matière de recherche de la paix, il n’y a pas de démarche universelle sinon tous les conflits seraient très rapidement réglés. Il n’est pas évident que ce qui a marché ailleurs en Afrique du sud ou aux Etats-Unis marche en Casamance. Les causes, les natures et l’ampleur des conflits sont différentes ainsi que les sociologies. Ce sont-là des greffes qui, à mon humble avis, risquent de ne pas réussir.
Quel commentaire faites-vous des jeunes combattants auto démobilisés et qui ont été envoyé en Europe?
Ce n’est pas une pratique nouvelle, elle a existé depuis le temps du président Abdou Diouf, il y avait des combattants parmi lesquels des hauts cadres du maquis qui ont été exfiltrés et envoyés en Europe notamment en Allemagne faire des formations pour qu’à leur retour, ils obtiennent des financements et montent leurs propres projets.
Du temps d’Abdoulaye Wade, des combattants à qui on a convaincu de s’auto démobiliser, ont bénéficié d’un appui financier et des terrains lotis dans certains quartiers de Ziguinchor ou certains vivent avec leurs familles.
D’aucuns ont été exfiltrés et envoyés en Espagne et les autres sont à Dakar pour l’essentiel entrain d’exercer le métier de gardiennage
Certains jeunes combattants ont été démobilisés en 2009 et amené à Dakar pour subir une formation en aviculture.
Le plus grand coup réussi par ceux qui recherchent la paix à travers l’exfiltration des combattants est Gnatang Diatta, commandant ou chef d’état major de la base du Balantacounda qui malade, a été exfiltré avec la complicité de son conseiller, mais à l’insu de ses éléments, conduit à Dakar ou un carte d’identité et un passeport diplomatique lui ont été confectionnés en un temps record avant d’être évacué en Espagne pour se faire soigner. De retour au Sénégal, il n’a plus rejoint le maquis.
Leur dernière opération consiste en l’exfiltration du maquis de quinze jeunes combattants à l’insu de César Atoute Badiate et de Ibrahima Compass Diatta, amenés à Ziguinchor et qui vont aller en Espagne après qu’on leur aura confectionné de passeports et négocier des visas pour eux.
Ces pratiques qui au lieu de régler la situation, radicalisent les chefs du maquis et les rendent très méfiants auprès de ceux qui œuvrent pour la paix en Casamance. Cela peut ralentir le processus de paix.
Quel est votre point de vu par rapport à la mort, il y a quelques semaines, du jeune Robert Antoine Sambou ?
Cet événement douloureux peut raviver une certaine psychose auprès des populations. En réalité, beaucoup de jeunes ont regagné le maquis parce qu’ils étaient animés par le sentiment de vengeance d’un des leurs mort dans des conditions presque similaires
Et sur ce point précis, je tiens à féliciter au passage Amnesty international et la RADHO pour leur implication dans la recherche de la vérité. Par contre, j’ai beaucoup déploré le silence observé par ceux qui se disent acteurs de paix. Aucune voix ne s’est élevée aussi bien de leur coté que du coté des hommes politiques pour condamner encore moins s’indigner contre cette bavure qui s’est soldée par mort d’homme dans un contexte ou les esprits se sont apaisés et que les populations n’aspirent qu’à la paix. C’est d’autant plus étonnant que même au niveau de la « plateforme des femmes » et peut être du reste de la population, il n’y a eu aucune intervention pour condamner cette bavure afin que plus jamais on ne revive pareil comportement qui peut entraver l’accalmie et la dynamique de paix qui prévaut en Casamance.
J’espère seulement que les enquêtes iront jusqu’au bout et que les fautifs seront identifiés et sanctionnés conformément à la loi.
Que préconisez-vous alors comme solutions à la crise casamançaise ?
Comme l’a si bien dit l’abbé Diamacoune : « En Casamance pendant que les uns construisent, les autres détruisent ; il y en a qui ne veulent pas de la fin de la guerre ».
C’est pour dire que cette crise comporte de nos jours des aspects multiples, avec un « dedans », un « dehors », un ou plusieurs « à coté », un « passé », un « présent » si imbriqués les uns dans les autres que serait présomptueux celui qui prétendrait les maîtriser tous, pas même les acteurs directs, encore moins les observateurs extérieurs et autres communicateurs.
Je pense qu’il est indispensable dans un premier temps de recenser tous les facteurs qui font trainer le processus de paix et d’essayer de les trouver des solutions concertées si on veut donner des chances de succès à une quelconque action d’apaisement en vue d’un règlement définitif.
Je n’ai pas de solution miracle à proposer; cependant, j’invite ceux qui s’activent dans la recherche de la paix d’essayer de s’intéresser un tout petit peu aux mécanismes traditionnels de règlement des conflits en Casamance puisqu’ils en existent; cela pourrait porter du fruit parce que c’est un conflit à forte connotations culturelles. ll nous faut réfléchir à trouver des solutions originales en lieu et place de vouloir en importer. Les autres étaient en crise, ils ont su trouver des solutions qui leur étaient propres pour y mettre un terme. Essayons encore une fois de nous inscrire dans cette logique voir.
Est-ce que vous croyez en une paix en Casamance ?
Oui, je crois sincèrement et je le souhaite du fond de moi. Il n’y a rien qui ne finisse dans ce bas monde. J’y crois fermement et mon sentiment est renforcé par la volonté des autorités et du MFDC d’aller vers la table de négociations. Ainsi avec de bons interlocuteurs, je veux dire par là des hommes et des femmes crédibles, qui ne recherchent pas la gloire et qui s’engagent à travailler dans la sincérité et la parfaite discrétion, on pourrait vite arriver à cette paix souhaitée et tant recherchée par tous.
Le Journal du Pays